Journal des Débats – 1872-06-29

FEUILLETON DU JOURNAL DES DÉBATS

DU 29 JUIN 1872

 REVUE MUSICALE.

Les concurrens pour le prix de Rome. — Les cantates. — Les concerts des élèves du Conservatoire. — Les chefs d’orches­tre, — Le Théâtre-Lyrique. — Le Théâ­tre-Italien. — L’Opéra.

On les a mis sous clef ces pauvres jeu­nes gens, et les voilà depuis vingt jours qui s’escriment sur un certain poëme em­prunté à l’une des pages les plus édifiantes de la littérature classique. Egarés dans l’ile de l’inconsolable Calypso, ils cher­chent Eucharis et ne la trouveront pas. Les cantates académiques ne sauraient ad­mettre plus de trois personnages ; nous avons, dans celle que le jury a choisie, Ca­lypso, Mentor, Télémaque, et c’est vraiment bien assez. Cette cantate, il a fallu la décou­vrir parmi soixante-huit pièces signées de noms différens, ce qui prouve qu’en France il y a soixante-huit poëtes qui peuvent être tentés par un laurier académique dont la valeur est de 500 fr. Celui qui triomphe aujourd’hui se nomme Victor Roussy, et, dans ce genre, il n’en est pas à son pre­mier succès. Entre autres cantates, tou­jours à trois personnages, signées du même poëte, il me souvient d’AtalaAtalaAtala, cantate sur des paroles de Victor Roussy adoptée pour le concours du prix de Rome en 1861. C’est Théodore Dubois qui remporta le 1er prix. Théodore Salomé et Eugène-Jean-Baptiste Anthiome décrochèrent le 2e prix.Lire la suite… et d’IvanhoéIvanhoéIvanhoé, cantate sur des paroles de Victor Roussy adoptée pour le concours du prix de Rome en 1864. C’est Charles-Victor Sieg qui remporta le 1er prix.Lire la suite…, d’IvanhoéIvanhoéIvanhoé, cantate sur des paroles de Victor Roussy adoptée pour le concours du prix de Rome en 1864. C’est Charles-Victor Sieg qui remporta le 1er prix.Lire la suite… surtout, qui inspira à la fois M. Camille Saint-SaënsSaint-Saëns, Charles-CamilleCharles-Camille Saint-Saëns (Paris, 9 octobre 1835 – Alger, 16 décembre 1921), pianiste, organiste et compositeur. Il étudia le piano avec Camille Stamaty et donna son premier concert public en 1843. Il étudia au Conservatoire de Paris avec François Benoist (orgue) et Fromental Halévy (compoLire la suite… et M. Victor Sieg.

Si les décrets d’un jury doivent être res­pectés, c’est d’abord par les membres qui le composent et ensuite par les amis aux­quels ils confient leurs perplexités et leur ennui. Or, je n’ai fait de confidence à per­sonne et je n’en veux pas faire, afin qu’on ne sache pas qu’après avoir longtemps hé­sité entre la cantate qui chantait l’amour de Calypso et une autre qui chantait les amours de Télémaque et de la nymphe Eucharis, nous avons failli en revenir à une troisième signalée l’an dernier comme bien peu inférieure à celle qui obtint le prix, et qui traitait le même sujet. Car l’an dernier le jury hésita entre deux Abencerrages, comme il a hésité cette année entre deux CalypsoCalypsoCalypso, cantate sur des paroles de Victor Roussy adoptée pour le concours du prix de Rome en 1872. C’est Gervais-Bernard Salvayre qui remporta le 1er prix. Léon Erhart eut le 2e prix.Lire la suite…, ou du moins entre la nymphe Eucharis et la déesse Calypso.

Ce n’est donc que trop vrai, de nombreu­ses expériences l’ont bien prouvé, les con­cours excitent l’émulation chez les talens les plus médiocres, et font même descendre dans l’arène des concurrens qui n’ont pas de talent du tout. Je n’essaierai pas de ra­conter toutes les platitudes, toutes les tur­pitudes, toutes les extravagances qui ont passé sous nos yeux le jour où, dans une salle du Conservatoire, nous étions dix as­semblés autour d’un tapis vert. Nous en au­rions ri si cela n’eût été si peu risible ; à voir nos figures désappointées, on aurait dit que nous assistions à la lecture d’un testa­ment. Le notaire, je veux dire le président, n’était pas le moins triste d’entre nous. Sans doute, pour ce qui est du choix d’une cantate, sa responsabilité est égale à la nô­tre ; mais il n’en est pas moins vrai que si l’inspiration de jeunes musiciens s’exerçant sur une œuvre incolore et mal tournée n’enfante rien de sublime, il y aura des esprits chagrins qui s’écrieront comme d’habitude : « Voilà donc ce que le Conser­vatoire produit ! »

O nymphes des verts bocages, glissez- vous à l’aurore dans les cellules entr’ouvertes de ces jeunes nourrissons, et si la muse ne vient point les visiter, égayez du moins par vos jeux et vos chants la tris­tesse de leur solitude !

Je crois qu’on ferait bien de renoncer au concours et d’adopter un système plus simple qui donnerait des résultats bien meilleurs : ce serait de s’adresser à quel­que poëte connu, à quelque librettiste en renom et de lui dire :« La rémunération est bien faible, l’honneur n’est pas bien grand, mais enfin il s’agit de l’avenir de cinq ou six jeunes hommes dont l’un au moins sera une des gloires du pays, du monde entier peut-être ; faites-nous donc une cantate qui ait la raison et la rime, quelque chose qui ne soit pas trop en dehors du programme aca­démique et qui ait le sens commun. » Evi­demment, puisqu’il y a déjà eu des can­tates signées Jules Barbier, Emilien Pacini, Camille Du Locle, il pourrait y en avoir encore. Ces messieurs dédaignent de concourir aujourd’hui et je ne les en blâme pas ; mais pourquoi une démarche faite au­près de l’un d’eux par la section de musi­que de l’Institut n’aurait-elle pas chance de réussir ?

On sait que les candidats au prix de Rome sont rentrés maintenant dans le giron de l’Académie. A l’exception de trois membres adjoints, c’est un jury d’académiciens qui les juge. Tout avait été changé, tout avait été bouleversé, et ces bouleversemens, ces changemens avaient donné lieu aux scènes les plus regrettables. « Les cantates sont des jeux académiques dont il faut laisser la direction à des académiciens. » Je fis sur ce thème plusieurs variations qui ne furent point écoutées ; d’autres voix plus autorisées que la mienne demandèrent les mêmes réformes et firent entendre les mêmes plaintes tout aussi inutilement. Un jury librement élu continua à fonc­tionner pendant de longues années, et, presque chaque année, à la suite du juge­ment prononcé il y eut un petit scandale. Une fois même, les concurrens évincés, ou­bliant toute déférence et toute retenue, crièrent bien haut à l’injustice et traitèrent Messieurs du jury très irrévérencieuse­ment. Cette fois-là, un des plus jeunes membres de ce jury librement élu, qui lui aussi avait été à Rome, prit la parole avec toute l’autorité que lui donnait son talent bien plus que son âge, et, tandis qu’on s’at­tendait à une verte semonce à l’adresse des écoliers mutinés, ce fut à ses collègues qu’il s’adressa : «Quelle qualité avons-nous, Messieurs, pour juger les travaux de ces jeunes gens, nous qui, pour la plupart, étions il n’y a pas bien longtemps comme eux sur les bancs de l’école ? Joignez-vous donc à moi, mes chers collègues, et de­mandons qu’à l’avenir les concurrens pour le prix de Rome soient rendus à leurs juges naturels : les académiciens. »

Ce discours, que mon ami Georges Bizet aurait pu m’aider à reproduire textuelle­ment, fut trouvé excellent et resta sans effet. Cependant quelques journaux s’étaient mêlés de l’incident, et il y en avait plu­sieurs qui penchaient du côté de l’émeute. On cita même en toutes lettres le nom du candidat qui aurait dû remporter sur ses compétiteurs. Il était difficile d’aller plus loin. Nous retrouverons cette année ce même candidat, armé de tous ses avanta­ges, mais nous le retrouverons docile au jugement d’un jury dont la compétence, maintenant, ne peut être récusée par per­sonne, même par des musiciens.

Il n’est pas nécessaire d’être élève du Conservatoire pour prendre part au con­cours : tout Français âgé de moins de trente ans et tourmenté du désir d’aller à Rome peut tenter l’aventure ; seulement, chaque concurrent doit subir l’épreuve de deux exercices préparatoires : une fugue vocale à quatre parties et un chÅ“ur également à quatre parties, avec accompagnement d’or­chestre. Je crois qu’à l’exception d’un seul, tous les concurrens de cette année, sont élèves du Conservatoire et par conséquent se sont nourris des leçons de nos meilleurs professeurs. Eh, bien ! il m’a semblé que, cette année-ci comme les années précé­dentes, leur côté le plus faible c’était l’in­strumentation. Et je suis loin de leur en faire un reproche, car ils ne se sont jamais entendus. Or, pour bien instrumenter, la théorie ne suffit pas ; il faut non seulement que l’élève se rende compte des procédés employés par les maîtres en lisant leurs partitions ou en les entendant exécuter, mais il faut surtout qu’il sache ce que don­neront telles ou telles combinaisons d’instrumens, tels ou tels accouplemens de tim­bres que son imagination seule lui a suggérés. Et pour cela il est absolument indispensable que son éducation se fasse autrement que par les conseils d’un professeur et par des exercices scolastiques. Le fondateur du Conservatoire devait être pénétré de cette vérité, puisqu’il voulut qu’un orchestre composé d’un certain nombre d’élèves choisis parmi les meilleurs exécutât non- seulement des Å“uvres du répertoire clas­sique, mais aussi des ouvrages, fragmens symphoniques ou autres, écrits par les élè­ves eux-mêmes et jugés dignes de figurer sur les programmes de ces concerts. Telle est l’origine des concerts du Conservatoire, qui s’émancipèrent par la suite ; telle est l’origine des concerts populaires qui, avant de devenir une institution libre, furent for­més par M. PasdeloupPasdeloup, Jules-EtienneJules-Étienne Pasdeloup (Paris, 15 septembre 1819 – Fontainebleau, 13 août 1887), pianiste et chef d’orchestre. Il étudia au Conservatoire de Paris où il obtint les premiers prix de solfège en 1832 et de piano en 1834. En 1841, il devint répétiteur de solfège au Conservatoire, puis répÃLire la suite… avec des élémens pris dans le Conservatoire, et s’appelèrent au début : Concerts des jeunes élèves du Conservatoire.

Je m’imaginais que parmi tant de réfor­mes qui avaient semblé urgentes et que, du vivant même de M. AuberAuber, Daniel-François-EspritDaniel-François-Esprit Auber (Caen, 29 janvier 1782 – Paris, 12 mai 1871), compositeur. Sa famille était aisée et le prépara aux affaires tout en lui enseignant la musique, dans laquelle il montra très tôt son talent de chanteur (baryton), de pianiste, de violoniste et de violoncelliste. LesLire la suite…, il était question d’appliquer à notre Ecole nationale de mu­sique, l’une des plus urgentes, l’une de celles qui touchaient le plus près à l’ensei­gnement, c’était le rétablissement des con­certs institués par SarretteSarrette, BernardBernard Sarrette (Bordeaux, 27 novembre 1765 – Paris, 11 avril 1858), directeur. Ce fils de cordonnier était venu à Paris pour travailler comme commis à la comptabilité. Au lendemain de la prise de la Bastille, il s’engagea dans la garde nationale et émit l’idée d’y organiser un corps deLire la suite…. Peut-être réforme-t-on sur d’autres points et ne peut-on tout faire à la fois ; il ne faut pas cependant que les mois et les années se passent dans une attente vaine pour des élèves qui ne demandent pas mieux que d’être initiés à de belles Å“uvres qu’ils n’ont que de trop rares occasions d’entendre, et chez lesquels on ne devrait pas négliger plus longtemps d’exciter un peu d’émula­tion.

De ces concerts d’ailleurs il pourrait jaillir plus d’un bienfait. Ils serviraient d’école préparatoire à nos chefs d’orchestre de l’avenir. Un bon chef fut de tout temps et en tout pays une chose rare ; le grand tort chez nous est de croire que cela peut s’improviser. Il faut, je le veux bien, pour être chef d’orchestre, des aptitudes toutes particulières ; il faut tenir de la nature elle-même certains dons qui, pour d’autres professions, sont complètement inutiles : on ne saurait voir, par exemple, à la tête d’un orchestre, sans en être quelque peu cho­qué, un musicien qui aurait le ventre trop gros et les bras trop courts. Mais ce qu’il faut surtout pour être autre chose qu’un batteur de mesure plus ou moins habile, c’est une éducation musicale complète, une connaissance approfondie de la science harmonique et de la composition. Si HabeneckHabeneck, Francois-AntoineFrançois-Antoine Habeneck (Mézières, 22 janvier 1781 – Paris, 8 février 1849), violoniste, chef d’orchestre et compositeur. Son père était musicien de l’orchestre de la cour de Mannheim qui s’engagea dans la musique d’un régiment de l’armée française. François était l’ainé deLire la suite…, l’un des meilleurs chefs d’orchestre que nous ayons eus, ne fut ni un grand compositeur ni un savant harmoniste, il en savait pourtant plus long que beaucoup d’autres sur ces matières, et puis on peut dire qu’HabeneckHabeneck, Francois-AntoineFrançois-Antoine Habeneck (Mézières, 22 janvier 1781 – Paris, 8 février 1849), violoniste, chef d’orchestre et compositeur. Son père était musicien de l’orchestre de la cour de Mannheim qui s’engagea dans la musique d’un régiment de l’armée française. François était l’ainé deLire la suite… était une exception. Ber­liozBerlioz, Louis-HectorLouis-Hector Berlioz (La Côte Saint-André, 11 décembre 1803 – Paris, 8 mars 1869), compositeur. Il étudia au Conservatoire de Paris avec Lesueur et obtint le 1er Prix de Rome en 1830. La même année, il composa sa Symphonie fantastique. De retour de Rome, il composa Lelio ou le Retour à la vLire la suite…, Félicien DavidDavid, Félicien-CésarCésar-Félicien David (Cadenet, 13 avril 1810 – St Germain-en-Laye 29 aout 1876), compositeur. Orphelin à cinq ans, après des études à la maîtrise de la cathédrale St.-Sauveur d’Aix-en-Provence et au collège St.-Louis d’Aix, il entra en 1830 au Conservatoire de Paris dans la classe d’HLire la suite… et LitolffLitolff, HenriHenry Charles Litolff (Londres, 6 février 1818 – Bois-Colombes, 6 août 1891), pianiste et compositeur. Après des études de piano avec Ignaz Moscheles entre 1830 et 1835, il voyagea en Europe (Paris, Bruxelles, Varsovie, Dresde, Leipzig et Berlin). En 1849, il devint citoyen de Brunswick et épLire la suite… seront tou­jours cités comme des chefs d’orchestre modèles. Et si les deux premiers ne se sont guère montrés à la tête d’une pha­lange d’instrumentistes que pour diriger l’exécution de leurs Å“uvres, c’est que la situation d’un chef d’orchestre en France n’est pas ce qu’elle devrait être, ce qu’elle était dans la plus petite principauté alle­mande, à l’époque où en Allemagne il y avait encore des principautés.

Chez nous, le Kapellmeister, le maître de chapelle, n’existe pas, tandis que les plus grands compositeurs allemands : Beetho­venBeethoven, Ludwig vanLudwig van Beethoven (Bonn, 16 décembre 1770 – Vienne, 26 mars 1827), compositeur. Enfant prodige qui donna son premier concert public à Bonn à huit ans. Il alla à Vienne et prit des leçons avec Haydn de 1792 à 1794 puis avec Albrechtsberger de 1794 à 1795 et avec Salieri vers 1799. Il compLire la suite…, WeberWeber, Carl Maria vonCarl Maria von Weber (Eutin, 18 novembre 1786 – Londres, 5 juin 1826), compositeur. Il étudia avec son père, puis avec Johann Peter Heuschkel, organiste à Hildburghausen où sa famille s’était établie en 1796. L’année suivante, sa famille s’installa à Salzbourg où Weber étudia avec Lire la suite…, SpohrSpohr, Louis [Ludwig]Louis [Ludwig] Spohr (Brunswick, 5 avril 1784 – Cassel, 22 octobre 1859), violoniste, chef d’orchestre et compositeur. Il étudia le violon avec Gottfried Kunisch et Charles Louis Maucourt, et l’harmonie avec Carl August Hartung. Le duc Carl Wilhelm Ferdinand de Brunswick, au service duquel ilLire la suite…, Richard WagnerWagner, RichardRichard Wagner (Leipzig, 22 mai 1813 – Venise, 13 février 1843), compositeur. Il étudia la musique tout d’abord en autodidacte puis, à partir de 1831, à l’université de Leipzig avec C. T. Weinlig. Chef des chÅ“urs à Wurtzbourg en 1831, il devint directeur musical à Magdebourg de 1834 àLire la suite… et MendelssohnMendelssohn, FelixJacob-Ludwig-Felix Mendelssohn-Bartholdy (Hambourg, 3 février 1809 – Leipzig, 4 novembre 1847), compositeur. Il étudia la composition avec Zelter et le piano avec Berger et se lia d’amitié avec Goethe. Enfant surdoué, ses premières compositions datent de 1819 et à douze ans il avait déjà cLire la suite… ont été des maîtres de cha­pelle. Ne serait-ce donc pas un véritable service à rendre aux jeunes musiciens que de les habituer de bonne heure à diriger un orchestre ; et le meilleur moyen d’arri­ver à ce résultat n’est-ce pas de rétablir les concerts du Conservatoire ? Plus tard, pour utiliser les loisirs que les directeurs leur ménagent, ceux qui reviennent de Rome s’en iraient continuer leur appren­tissage et se perfectionner dans quelques unes de nos grandes villes de province, où, à défaut de chapelle, ils trouveraient un théâtre et une position lucrative. Et en somme, s’il en est parmi eux auxquels le génie de l’inspiration soit quelque peu re­belle, s’il en est auxquels le métier de com­positeur offre plus de déceptions que d’enchantemens, ceux-là pourraient du moins trouver l’emploi de leurs connaissances et de leur talent dans une carrière qui, en outre de certains avantages matériels qu’il ne faut point dédaigner, leur vaudrait en­core plus d’un dédommagement, plus d’un succès.

Ce serait nous bercer d’un espoir chimé­rique que de croire qu’à la lecture de ces lignes il va y avoir un peu d’émoi au sein du Conservatoire. Mais le conseil supérieur d’enseignement, créé depuis peu pour se­conder les efforts et le zèle du savant di­recteur de cet établissement, pourrait peut- être y trouver une occasion de faire parler de lui et de prendre une initiative dont nous ne serions certainement pas le seul à le féliciter.

J’ai parlé dans mon dernier feuilleton du fâcheux accident survenu à M. MartinetMartinet, LouisLouis Martinet (Paris, 19 mars 1814 – Paris, avant 8 janvier 1895), peintre et directeur. Il fit des études de peinture à l’École des beaux-arts de Paris avec Antoine-Jean Gros. Une maladie des yeux l’obligeant à abandonner la carrière de peintre, il devint inspecteur dans l’administrLire la suite…. Cet accident est une faillite. Quelques ar­tistes du théâtre voulaient l’épargner à leur directeur ; d’autres, qui formaient la ma­jorité, ont poussé à une solution toute dif­férente, et ont malheureusement réussi. M. MartinetMartinet, LouisLouis Martinet (Paris, 19 mars 1814 – Paris, avant 8 janvier 1895), peintre et directeur. Il fit des études de peinture à l’École des beaux-arts de Paris avec Antoine-Jean Gros. Une maladie des yeux l’obligeant à abandonner la carrière de peintre, il devint inspecteur dans l’administrLire la suite… ne méritait pas tant de rigueur. Le destin lui a été contraire, mais sa répu­tation d’honnête homme sortira intacte de la dure épreuve qu’il est en train de subir. Est-ce que c’est la subvention que venait de lui voter l’Assemblée qui a porté mal­heur à M. Martinet Martinet, LouisLouis Martinet (Paris, 19 mars 1814 – Paris, avant 8 janvier 1895), peintre et directeur. Il fit des études de peinture à l’École des beaux-arts de Paris avec Antoine-Jean Gros. Une maladie des yeux l’obligeant à abandonner la carrière de peintre, il devint inspecteur dans l’administrLire la suite…? Les petites subven­tions sont comme les perches trop courtes qui n’empêchent pas les gens de se noyer. Pareille chose arrive au Théâtre-Italien, à la faillite près. La saison étant finie, le di­recteur nous annonce qu’il a quelque chose comme 95,000 fr. de déficit. A quoi ont donc servi les 100,000 fr. qu’on lui a don­nés et qui ont été pris sur la subvention de l’Opéra-Comique ?

Nous ne demanderons pas aujourd’hui, comme il y a deux ans, que le Théâtre- Italien cède la place à un théâtre allemand où, au lieu de la TraviataTraviata, LaLa Traviata, opéra en trois actes sur un livret en italien de Francesco Maria Piave, d’après La Dame aux camélias d’Alexandre Dumas fils, mis en musique par Giuseppe Verdi et créé au Théâtre La Fenice de Venise le 6 mars 1853.Lire la suite… et d’OtelloOtelloOtello, opera seria en trois actes sur un livret en italien de Francesco Berio di Salsa mis en musique par Gioachino Rossini et créé au Théâtre Del Fondo de Naples le 4 décembre 1816 et au Théâtre-Italien de Paris le 5 juin 1821. Rossini remania l’œuvre sur un livret français d’AlphonseLire la suite…, on nous donnerait les Maîtres chanteurs ou Lohengrin.LohengrinLohengrin, opéra romantique en trois actes sur un livret en allemand et une musique de Richard Wagner créé au Théâtre Grand-ducal de Weimar le 28 août 1850.Lire la suite… Mais franchement, avec son vieux répertoire usé jusqu’à la corde et qui ne se renouvellera pas de sitôt, le Théâtre-Italien a-t-il sa raison d’être, et dira-t-on qu’il est ce qu’il était jadis : une école de chant où venaient professer, devant le public le plus aristocratique de l’univers, les plus grands chanteurs du monde ? Pourquoi donc donner 100,000 fr. par an à ce théâtre démodé, 100,000 fr. qui, on vient de le voir, ne lui profitent guère et n’ont guère servi cette année qu’à payer des chanteurs qui sont venus sans bruit, puis sont partis comme ils étaient venus ? Pour­quoi donner 100,000 fr. au Théâtre-Italien quand, d’un autre côté, un théâtre beau­coup plus utile étant incendié, vous vous contentez d’en restaurer les boutiques ?

Il est donc bien évident que le Théâtre- Italien, malgré la protection persistante du gouvernement, ne peut subsister sans coû­ter à celui qui en prendra la direction les plus grands sacrifices, au bout desquels il arrivera un jour ou l’autre ce que vous sa­vez. Mais voilà qu’un nouveau directeur se présente pour succéder à celui qui, placé à la tête de cette périlleuse entreprise, ne veut point y renoncer. Mettez donc ces deux champions d’accord et faites du Théâ­tre-Italien un véritable théâtre lyrique français, non point un théâtre de traduc­tions, non point un théâtre voué particu­lièrement à l’exécution des œuvres clas­siques, mais un théâtre où pourront se pro­duire les compositeurs français de tout âge que l’on repousse systématiquement ail­leurs. Ce théâtre, vous le doterez riche­ment, et personne ne vous reprochera vos libéralités, à la condition qu’elles profitent à l’art et aux artistes, et n’aillent point s’engouffrer dans la poche d’un entrepre­neur heureux.

Le répertoire classique, dont personne plus que moi ne déplore l’abandon doit revenir à l’Opéra. C’est à l’Opéra de don­ner, en jouant tous les jours, une place égale aux Å“uvres modernes et aux Å“uvres des anciens maîtres, si peu connues de la génération actuelle. FidelioFidelioFidelio, opéra en deux actes sur un livret en allemand de Joseph Sonnleithner remanié par Stephan von Breuning puis par Georg Friedrich Treitschke et cree au Kärntnertortheater de Vienne le 23 mai 1814.Lire la suite… et ArmideArmideArmide, tragédie lyrique en cinq actes sur un livret de Philippe Quinault mis en musique par Christoph Willibald Gluck et créée à l’Opéra de Paris le 23 septembre 1777.Lire la suite…, AlcesteAlcesteAlceste, tragédie lyrique en trois actes sur un livret de François-Louis Gand Le Bland dit bailli du Roullet adaptée du livret en italien de Ranieri de’ Calzabigi mis en musique par Christoph Willibald Gluck et créée à l’Opéra de Paris le 23 avril 1776. La version originale en Italien futLire la suite… et EuryantheEuryantheEuryanthe, opéra en trois actes sur un livret en allemand de Helmina von Chézy mis en musique par Carl Maria von Weber et créé Kärntnertortheater de Vienne 25 octobre 1823.Lire la suite…, Fernand CortezFernand CortezFernand Cortez ou La Conquête du Mexique, opéra en trois actes sur un livret d’Etienne de Jouy et Joseph-Alphonse d’Esménard mis en musique par Gaspare Spontini et créé à l’Opéra de Paris le 28 novembre 1809.Lire la suite… et la VestaleVestale, LaLa Vestale, tragédie lyrique en trois actes sur un livret d’Etienne de Jouy mis en musique par Gaspare Spontini et créé à l’Opéra de Paris le 11 décembre 1807.Lire la suite…, la Clémence de Titus et IdoménéeIdoménée, roi de CrèteIdomeneo, re di Creta ossia Ilia e Idamante (Idoménée, roi de Crète  ou Ilia et Idamante), opera seria en trois actes sur un livret en italien de Giambattista Varesco d’après le livret d’Antoine Danchet, mis en musique par Wolfgang Amadeus Mozart et créé au Théâtre Cuvillés de Munich lLire la suite…, OrphéeOrphée et EurydiceOrphée et Euridice, drame héroïque en trois actes sur un livret de Pierre-Louis Moline mis en musique par Christoph Willibald Gluck et créé à l’Opéra de Paris le 2 août 1774.Lire la suite… et les deux IphigénieIphigénie en TaurideIphigénie en Tauride, tragédie lyrique en quatre actes sur un livret de Nicolas-François Gaillard mis en musique par Christoph Willibald Gluck et créé à l’Opéra de Paris le 18 mai 1778.Lire la suite…, et bien d’au­tres partitions admirables dont il serait temps de secouer la poussière, ne doivent pas plus quitter l’affiche de l’Opéra que les chefs-d’œuvre de Molière, de RacineRacine, JeanJean Racine (La Ferté-Milon, 22 décembre 1639 – Paris, 21 avril 1699), auteur dramatique et poète. Orphelin de bonne heure, il reçut une éducation religieuse et littéraire aux Petites écoles de Port-Royal (1646-1655). Il se consacra aux lettres et sa première pièce de théâtre, AlexandreLire la suite… et de CorneilleCorneille, PierrePierre Corneille (Rouen, 6 juin 1601 – Paris, 1er octobre 1684), auteur dramatique. Il débuta au théâtre avec des comédies dont Mélite (1629) et L’Illusion comique (1635/36). Il devint célèbre avec sa tragi-comédie Le Cid (1637). Se succédèrent alors des tragédies parmi lesquelles HoracLire la suite… ne quittent l’affiche du Théâtre- Français. Ne laissez pas nos jeunes musi­ciens se griser par des succès faciles, ne les laissez pas s’encourager d’exemples per­nicieux et regarder plus longtemps l’art musical au théâtre par le petit bout de la lorgnette. A quoi donc cela nous sert-il de crier par-dessus les toits effondrés de nos édifices que nous voulons nous régénérer et de recommencer sans cesse et toujours à tourner dans le même cercle ? Le seul moyen de nous régénérer, c’est de vivre dans l’intimité de ce qui est bien et de ce qui est beau, c’est de nous passionner pour les belles Å“uvres, et de laisser à d’autres, à qui nous les avons si longtemps ensei­gnées, les excitations que donnent les pro­ductions malsaines. Ce qui est beau en musique, chacun de nous se vante de l’admirer ; mais, en réalité, c’est ce que nous connaissons le moins.

Il été établi par des chiffres que l’ex­ploitation à l’Opéra d’un double répertoire serait pour ce théâtre un surcroît de beso­gne sans doute, mais aussi une augmen­tation de profit. Par conséquent, la sub­vention actuelle y suffirait, et c’est là le point essentiel. Nos professeurs du Conser­vatoire, en s’attachant particulièrement à donner une éducation classique à leurs élèves, formeraient des chanteurs qui ai­deraient à défrayer le répertoire ancien et qui, habitués ainsi de bonne heure au grand art dramatique, se trouveraient bien plus à l’aise quand on les met­trait aux prises même avec les œu­vres les plus difficiles du répertoire mo­derne. A mesure que le temps approche où l’Opéra va prendre possession du plus vaste, du plus magnifique local qui ait ja­mais été consacré à la musique drama­tique, il doit songer aux nouvelles obliga­tions qui lui seront imposées et qu’il sera obligé de remplir. Il faudra que le tableau soit digne du cadre. Car en vérité, s’il se contentait de l’éclat et des succès que lui donne la représentation de cinq ou six ou­vrages qu’on ne se lassera peut-être pas d’admirer, mais qu’on pourrait se lasser d’applaudir, s’il persistait à croire qu’on amuse le public parisien comme un public de province avec des débuts insignifians, l’Opéra, qui fut jadis le premier théâtre de Paris, capitale du monde des arts, ne serait plus que le premier théâtre de Paris, chef lieu du département de la Seine.

E. Reyer.