FEUILLETON DU JOURNAL DES DÉBATS
DU 16 JANVIER 1872
 REVUE MUSICALE.
Le Caire, le 31 décembre 1871.
Il y a un proverbe turc qui dit : « Ne fais pas aujourd’hui ce que tu peux faire demain. » C’est juste l’inverse de ce qui se dit chez nous. Mais je ne suis pas depuis assez longtemps dans ce pays où tant de choses vont alla turca pour en avoir pris les habitudes et suivre ses maximes au pied de la lettre. Je ferai donc mon feuilÂleton aujourd’hui afin qu’il puisse partir deÂmain. Et vraiment, ce ne sera pas le plus difÂficile ni le plus pénible des travaux que j’ai mission d’accomplir en ce genre. LorsÂque j’ai accepté de venir en Egypte, assister à la première représentation d’Aïda, il a été bien convenu que je ne subirais aucune influence et que j’exprimerais mon opinion avec la plus entière franchise. L’opéra de VerdiVerdi, GiuseppeGiuseppe Verdi (Roncole près Busseto/Italie, 9 octobre 1813 – Milan, 27 janvier 1901), compositeur. Il étudia avec Ferdinando Provesi à Busseto dès 1825 puis, de 1831 à 1835 avec Vincenzo Lavigna à Milan. De 1836 à 1839, il fut maestro di musica à Busseto puis retourna à Milan où son premiLire la suite… eût été médiocre, je l’eusse dit sans détour ; il a réussi, il méritait de réussi ; je suis heureux d’en répandre la bonne nouvelle et de féliciter le maestro auquel, on le sait, je n’ai jamais témoigné ni beauÂcoup d’admiration ni une bien grande sympathie.
Voilà donc une Å“uvre très intéressante, très remarquable, qui sera certainement appréciée en France comme en Italie, et qui a été écrite à l’instigation d’un prince égyptien. Si magnifique et si absolu que soit le souverain de ce pays, il n’avait pas le pouvoir de décréter un chef-d’œuvre et il le savait bien lorsqu’il a demandé, pour en donner la primeur au théâtre du Caire, une partition inédite au plus populaire des compositeurs italiens. VerdiVerdi, GiuseppeGiuseppe Verdi (Roncole près Busseto/Italie, 9 octobre 1813 – Milan, 27 janvier 1901), compositeur. Il étudia avec Ferdinando Provesi à Busseto dès 1825 puis, de 1831 à 1835 avec Vincenzo Lavigna à Milan. De 1836 à 1839, il fut maestro di musica à Busseto puis retourna à Milan où son premiLire la suite…, avec les meilÂleures intentions du monde, eût très bien pu répondre au désir du khédive, comme il répondit, il y a quelques années, à l’inÂvitation du czar, par la Forza del destino. Heureusement le sujet d’Aïda vaut inÂfiniment mieux que celui-ci et a bien mieux servi l’inspiration du composiÂteur. Il y a même trouvé l’occasion de faire de la couleur locale, ce qui ne lui est pas arrivé souvent, et ce qu’il ne semÂblait pas rechercher dans ses précédens ouvrages. Un motif turc que lui a envoyé de Constantinople le frère de DonizzettiDonizetti, GiuseppeGiuseppe Donizetti (Bergame, 6 novembre 1788 – Constantinople (aujourd’hui Istanbul), 12 février 1856), compositeur. Frère aîné de Gaetano Donizetti, il chanta tout comme lui à l’église Santa Maria Maggiore de Bergame et étudia la musique auprès de Simon Mayr, maître de chapelle de cLire la suite… [Donizetti]Donizetti, GiuseppeGiuseppe Donizetti (Bergame, 6 novembre 1788 – Constantinople (aujourd’hui Istanbul), 12 février 1856), compositeur. Frère aîné de Gaetano Donizetti, il chanta tout comme lui à l’église Santa Maria Maggiore de Bergame et étudia la musique auprès de Simon Mayr, maître de chapelle de cLire la suite…, directeur de la musique du Sultan, et une mélodie indigène qui accompagne sur la flûte les évolutions des derviches tourÂneurs, ont été à VerdiVerdi, GiuseppeGiuseppe Verdi (Roncole près Busseto/Italie, 9 octobre 1813 – Milan, 27 janvier 1901), compositeur. Il étudia avec Ferdinando Provesi à Busseto dès 1825 puis, de 1831 à 1835 avec Vincenzo Lavigna à Milan. De 1836 à 1839, il fut maestro di musica à Busseto puis retourna à Milan où son premiLire la suite… d’un précieux seÂcours, et j’ajouterai que ces deux thèÂmes, qui ont beaucoup de caractère, mais qui comportent quelques mesures seulement, acquièrent dans la partition une importance réelle par la façon haÂbile dont ils sont traités, par l’instruÂmentation et la disposition des voix. Avec l’un, VerdiVerdi, GiuseppeGiuseppe Verdi (Roncole près Busseto/Italie, 9 octobre 1813 – Milan, 27 janvier 1901), compositeur. Il étudia avec Ferdinando Provesi à Busseto dès 1825 puis, de 1831 à 1835 avec Vincenzo Lavigna à Milan. De 1836 à 1839, il fut maestro di musica à Busseto puis retourna à Milan où son premiLire la suite… a fait le chÅ“ur de Termuthis et des prêtresses de Vulcain, dans l’intérieur du temple de Memphis ; avec l’autre, il a fait une sorte de danse mystique. Ces deux motifs, qui se succèdent et se répondent l’un à l’autre, produisent le plus charmant efÂfet et sont présentés, modulés et ramenés avec un art infini. Je les ai écoutés avec ravissement, et pourtant mon oreille n’en est plus à subir le charme de ces douces surprises que font éprouver les mélodies d’Orient à ceux qui les entendent pour la première fois. Mais tout le mérite de la partition n’est pas là . A ceux qui nient le mouvement en musique, VerdiVerdi, GiuseppeGiuseppe Verdi (Roncole près Busseto/Italie, 9 octobre 1813 – Milan, 27 janvier 1901), compositeur. Il étudia avec Ferdinando Provesi à Busseto dès 1825 puis, de 1831 à 1835 avec Vincenzo Lavigna à Milan. De 1836 à 1839, il fut maestro di musica à Busseto puis retourna à Milan où son premiLire la suite… vient de répondre comme le philosophe de l’antiquité : il a marché. Certes l’ancien VerdiVerdi, GiuseppeGiuseppe Verdi (Roncole près Busseto/Italie, 9 octobre 1813 – Milan, 27 janvier 1901), compositeur. Il étudia avec Ferdinando Provesi à Busseto dès 1825 puis, de 1831 à 1835 avec Vincenzo Lavigna à Milan. De 1836 à 1839, il fut maestro di musica à Busseto puis retourna à Milan où son premiLire la suite… subsiste encore ; on le retrouve dans Aïda avec ses exagérations, ses brusques oppositions, ses négligences de style et ses emportemens. Mais un autre VerdiVerdi, GiuseppeGiuseppe Verdi (Roncole près Busseto/Italie, 9 octobre 1813 – Milan, 27 janvier 1901), compositeur. Il étudia avec Ferdinando Provesi à Busseto dès 1825 puis, de 1831 à 1835 avec Vincenzo Lavigna à Milan. De 1836 à 1839, il fut maestro di musica à Busseto puis retourna à Milan où son premiLire la suite… atteint de germanisme, s’y manifeste aussi, usant d’une manière fort habile, avec une science et un tact qu’on ne lui soupçonnait pas, de tous les artifices de la fugue et du contrepoint, accouplant les timbres avec une ingéniosité rare, brisant les vieux moules mélodiques, même ceux qui lui étaient particuliers, caressant tour à tour les grands récits et les longues mélopées, recherchant les harmonies les plus nouÂvelles, les plus étranges quelquefois, les modulations les plus inattendues, donnant à l’accompagnement plus d’intérêt, souvent plus de valeur qu’à la mélodie elle-même ; enfin, comme le disait GrétryGrétry, André-Ernest-ModesteAndré-Ernest-Modeste Grétry (Liège, 11 février 1741 – Montmorency, 24 septembre 1813), compositeur. Il apprit la musique à la maîtrise de la collégiale de Saint-Denis de Liège et reçut des leçons d’harmonie de Renkin et de composition de Moreau. Une bourse de la fondation Darchis lui perLire la suite… en parlant de MozartMozart, Wolfgang AmadeusWolfgang Amadeus Mozart (Salzbourg, 27 janvier 1756 – Vienne, 5 décembre 1791), compositeur. Enfant prodige. Son père développa ses dons pour le piano et la composition et l’exhiba dès l’âge de six ans dans des voyages à travers toute l’Europe. Ses premières compositions, des pièces Lire la suite…, mettant parfois la statue dans l’orchestre et laissant le piédestal sur la scène. Je n’ai jamais bien saisi la justesse de cette expression ; mais elle est tellement acceptée, que je m’en sers sans le moindre scrupule.
Ah ! il ne faut pas qu’on vienne me dire maintenant : VerdiVerdi, GiuseppeGiuseppe Verdi (Roncole près Busseto/Italie, 9 octobre 1813 – Milan, 27 janvier 1901), compositeur. Il étudia avec Ferdinando Provesi à Busseto dès 1825 puis, de 1831 à 1835 avec Vincenzo Lavigna à Milan. De 1836 à 1839, il fut maestro di musica à Busseto puis retourna à Milan où son premiLire la suite… vit dans l’isolement le plus complet et reste absolument indifférent à toute Å“uvre nouvelle, a tout sysÂtème nouveau. On m’assurait il y a quelques années qu’il n’avait jamais lu Don Juan. C’est bien possible, mais il l’a lu depuis, et il a même été beaucoup plus loin. Je suis bien certain que les Å“uÂvres de Richard WagnerWagner, RichardRichard Wagner (Leipzig, 22 mai 1813 – Venise, 13 février 1843), compositeur. Il étudia la musique tout d’abord en autodidacte puis, à partir de 1831, à l’université de Leipzig avec C. T. Weinlig. Chef des chÅ“urs à Wurtzbourg en 1831, il devint directeur musical à Magdebourg de 1834 à Lire la suite… lui sont familières, et celles de BerliozBerlioz, Louis-HectorLouis-Hector Berlioz (La Côte Saint-André, 11 décembre 1803 – Paris, 8 mars 1869), compositeur. Il étudia au Conservatoire de Paris avec Lesueur et obtint le 1er Prix de Rome en 1830. La même année, il composa sa Symphonie fantastique. De retour de Rome, il composa Lelio ou le Retour à la vLire la suite… pareillement. Il a dû aussi étudier quelque peu les partiÂtions de MeyerbeerMeyerbeer, GiacomoJakob Liebmann Meyer Beer dit Giacomo Meyerbeer (Vogelsdorf, 5 septembre 1791 – Paris, 2 mai 1864), compositeur. Il étudia la composition avec Zelter puis l’abbé Vogler et le piano avec Franz Lauska. Bien que considéré par Moscheles comme un des plus grands pianistes de son temps, Meyerbeer abLire la suite… et se rendre compte des procédés de M. GounodGounod, CharlesCharles Gounod (Paris, 17 juin 1818 – Saint-Cloud, 18 octobre 1893) compositeur. Gounod étudia le piano avec sa mère et la composition et l’harmonie en privé avec Reicha tout en faisant d’excellentes études classiques au Lycée Saint-Louis à Paris. Après avoir obtenu son baccalauréat, il Lire la suite… qui ne sont pas ceux du premier venu. Ses études en ces différens genres n’étaient peut-être qu’ébauchées quand il a écrit Don Carlos ; Don CarlosDon Carlos, opéra en cinq actes sur un livret de Joseph Méry et Camille du Locle, d’après Friedrich Schiller, mis en musique par Giuseppe Verdi et créé à l’Opéra de Paris le 11 mars 1867.Lire la suite…elles sont fort avancées, sinon– absolument complètes aujourd’hui. Et s’il persiste dans sa nouvelle manière, le maestro VerdiVerdi, GiuseppeGiuseppe Verdi (Roncole près Busseto/Italie, 9 octobre 1813 – Milan, 27 janvier 1901), compositeur. Il étudia avec Ferdinando Provesi à Busseto dès 1825 puis, de 1831 à 1835 avec Vincenzo Lavigna à Milan. De 1836 à 1839, il fut maestro di musica à Busseto puis retourna à Milan où son premiLire la suite…, pour quelques enthousiasmes qui se refroidiÂront autour de lui, opérera bien des conÂversions et se fera bien des adeptes, même dans les cénacles où jusqu’à présent il n’éÂtait guère admis.
Ce n’est certainement pas la transforÂmation de GluckGluck, Christoph WillibaldChristoph Willibald Gluck (Erasbach/Haut-Palatinat, 2 juillet 1714 – Vienne, 15 novembre 1787), compositeur. Né en Bohème, on ne sait rien de ses études scolaires ou musicales. En 1732, il alla à Prague, jouant du violon, et préférablement du violoncelle et chantant dans les chÅ“urs des églLire la suite…, ni celle de RossiniRossini, GioachinoGioachino Rossini (Pesaro/Italie 29 février 1792 – Passy, 13 novembre 1868), compositeur. Né de parents musiciens, Rossini étudia le chant avec Giuseppe Malerbi à Lugo et débuta comme chanteur au théâtre d’Imola en 1804 et chanta le rôle d’un enfant dans Camilla de Paer à Bologne en 180Lire la suite…, ni celle de MeyerbeerMeyerbeer, GiacomoJakob Liebmann Meyer Beer dit Giacomo Meyerbeer (Vogelsdorf, 5 septembre 1791 – Paris, 2 mai 1864), compositeur. Il étudia la composition avec Zelter puis l’abbé Vogler et le piano avec Franz Lauska. Bien que considéré par Moscheles comme un des plus grands pianistes de son temps, Meyerbeer abLire la suite… passant de MargaÂrita d’AngiùMargarita d’AngouMargherita d’Anjou, melodramma semiserio en deux actes sur un livret en italien de Felice Romani mis en musique par Giacomo Meyerbeer et créé au Théâtre de La Scala de Milan le 14 novembre 1820. La version française en trois actes due à Thomas Sauvage avec l’adjonction de morceaux d’autrLire la suite… ou du CrociatoCrociato in Egitto, IlIl crociato in Egitto (Le Croisé en Egypte), melodramma eroico en deux actes sur un livret en italien de Gaetano Rossi mis en musique par Giacomo Meyerbeer et créé au Théâtre La Fenice de Venise le 7 mars 1821 et au Théâtre-Italien de Paris le 25 septembre 1825.Lire la suite… à Robert- le-DiableRobert-le-diableRobert le Diable, opéra en cinq actes sur un livret d’Eugene Scribe et Germain Delavigne, mis en musique par Giacomo Meyerbeer, créé à l’Opéra de Paris le 21 novembre 1831.Lire la suite…, mais enfin c’est quelque chose de plus qu’une simple évolution, et ceux qui connaissent la nature abrupte et le caractère indiscipliné du maître italien verront dans les velléités et dans les tenÂdances que révèle la partition d’Aïda beauÂcoup plus et beaucoup mieux que de vaÂgues promesses pour l’avenir.
Cette partition, je l’ai lue très attentiveÂment et je l’ai entendue trois fois, y preÂnant chaque fois un plaisir nouveau. Sous le rapport de l’invention mélodique, on ne peut pas dire qu’elle soit d’une grande oriÂginalité ; on y trouve plusieurs réminisÂcences, non seulement des maîtres que j’ai cités plus haut, mais aussi de M. VerdiVerdi, GiuseppeGiuseppe Verdi (Roncole près Busseto/Italie, 9 octobre 1813 – Milan, 27 janvier 1901), compositeur. Il étudia avec Ferdinando Provesi à Busseto dès 1825 puis, de 1831 à 1835 avec Vincenzo Lavigna à Milan. De 1836 à 1839, il fut maestro di musica à Busseto puis retourna à Milan où son premiLire la suite… lui- même : l’auteur du Ballo in mascheraUn ballo in mascheraUn ballo in maschera, opéra en trois actes sur un livret en italien d’Antonio Somma mis en musique par Giuseppe Verdi et créé au Théâtre Apollo à Rome le 17 février 1859. Le livret s’inspire du livret d’Eugene Scribe Gustave III, ou le bal masqué, dont il transpose l’action de StockhLire la suite…, de Luisa MillerLuisa MillerLuisa Miller, opéra en trois actes sur un livret de Salvatore Cammarano, d’après Schiller, mis en musique par Giuseppe Verdi et créé au Théâtre San Carlo de Naples le 8 décembre 1849 et au Théâtre-Italien à Paris le 7 décembre 1852.Lire la suite… et du TrovatoreTrovatore, IlIl Trovatore, opéra en quatre actes sur un livret en italien de Salvadore Cammarano  complété par Leone Emanuele Bardare et mis en musique par Giuseppe Verdi. L’œuvre fut créée au Théâtre Apollo à Rome le 19 janvier 1853 et au Théâtre-Italien à Paris le 23 décembre 1854.Lire la suite… s’y reconnaît particulièrement. N’importe ; telle qu’elle est, avec ses réminiscences et ses imperfections, c’est, je le répète, une Å“uvre des plus remarquables et à laquelle les musiciens, quel que soit le drapeau sous lequel ils s’abriÂtent, prendront, il n’en faut pas douter, un très vif intérêt. Je parle des musiciens qui n’ont pas de parti pris : celui qui dans les questions d’art ne montre ni sincérité ni bonne foi, n’est point un artiste.
Peut-être est-il temps de donner quelÂques détails sur le livret et sur les magnificences de la mise en scène.
Le Roman de la MomieRoman de la momie, LeLe Roman de la momie de Théophile Gautier parut en feuilleton dans le Moniteur universel au printemps 1857 et en volume l’année suivante chez Hachette. Le roman raconte la découverte d’une tombe inviolée d’un pharaon par un aristocrate anglais, lord Evandale, et un égyptologue allemand. ELire la suite…, de Théophile GautierGautier, TheophileThéophile Gautier ( Tarbes, 30 aout 1811 – Paris, 23 mai 1872), écrivain, journaliste. Il fit ses études à Paris où il se lia d’amitié avec Gérard Nerval et fut un grand défenseur de Victor Hugo. Pour Gauthier, la musique, la peinture et la poésie étaient les éléments fondamentaux dâ€Lire la suite…, a bien pu suggérer à M. Mariette l’idée du poëme d’Aïda, mais il n’y a pas une seule situation dans le poëme d’Aïda qui soit empruntée au Roman de la Momie. Roman de la momie, LeLe Roman de la momie de Théophile Gautier parut en feuilleton dans le Moniteur universel au printemps 1857 et en volume l’année suivante chez Hachette. Le roman raconte la découverte d’une tombe inviolée d’un pharaon par un aristocrate anglais, lord Evandale, et un égyptologue allemand. ELire la suite…Ce poëme est donc une invention du savant directeur du Musée de Boulaq, de l’illustre égyptologue qui a attaché son nom à tant de merveilleuses découÂvertes, et tout récemment à celle du Sérapeum. Il l’a écrit tout entier, en prose. C’est M. Camille du Locle qui l’a mis en vers et qui, avec ce talent et cette inÂtelligence scénique dont il a donné plus d’une preuve déjà , l’a accommodé suivant les exigences du drame lyrique. Le rôle de M. GhislanzoniGhislanzoni, AntonioAntonio Ghislanzoni (Lecco, 25 novembre 1824 – Caprino Bergamasco, 16 juillet 1893), baryton, écrivain, poète et librettiste. Il était inscrit en médecine mais décida plutôt d’étudier le chant. Il débuta en 1846 au Théâtre de Lodi. Deux ans plus tard, il abandonnait le chant pour le joLire la suite… (c’est le seul nom qui figure sur l’affiche à côté de celui de VerdiVerdi, GiuseppeGiuseppe Verdi (Roncole près Busseto/Italie, 9 octobre 1813 – Milan, 27 janvier 1901), compositeur. Il étudia avec Ferdinando Provesi à Busseto dès 1825 puis, de 1831 à 1835 avec Vincenzo Lavigna à Milan. De 1836 à 1839, il fut maestro di musica à Busseto puis retourna à Milan où son premiLire la suite…) s’est donc borné à traduire en vers italiens les vers français de M. du Locle. Je ne commets pas la moindre indiscrétion en révélant ce mystère. Et d’ailleurs il me semble assez naturel que chacun reÂçoive la part qui lui revient dans le succès d’Aïda.
L’action, dit le livret, se passe à MemÂphis et à Thèbes, à l’époque de la puissance des Pharaons. Une date plus précise ne nous eût rien appris de plus, de même que nous ne voyons aucun inconvénient à ce que le père d’Amnéris s’appelle tout simplement le Roi.
Le premier tableau représente donc un jardin, dans le palais du roi, à Memphis. Des vases de fleurs et des arbustes ornent la scène. A droite s’élève le pavillon royal, surmonté d’un baldaquin et formé d’une double ligne de colonnes en bois. Il paraît qu’avant la restauration due à M. Mariette-Bey, ce genre d’architecture des anciens Egyptiens (l’architecture en bois) était comÂplètement inconnu des archéologues. Au fond, on aperçoit la plaine fertile de l’EÂgypte et dans le lointain les pyramides et le sphynx, déjà mutilé, gardant l’entrée du désert immense.
Le grand-prêtre Ramphis vient annonÂcer au capitaine des gardes Rhadamès que l’Ethiopie se soulève encore et menace Thèbes et la vallée du Nil. L’Isis sacrée, qui a été consultée, a désigné le chef suÂprême des phalanges égyptiennes : « Il est jeune, il est brave….. » Et le grand-prêÂtre s’éloigne pour aller porter au roi les décrets de la divinité. « Si j’étais ce guerrier ! s’écrie Rhadamès… Si mon songe s’accomÂplissait ! Je reviendrais vainqueur vers ma douce Aïda ; je voudrais lui rendre le beau ciel et les douces brises de sa patrie, poser sur sa tête une couronne royale et lui dresser un trône près du soleil. » Rhadamès ne sait pas qu’Aïda, l’esclave d’Amnéris, est la fille du roi d’Ethiopie Amonasro, celui-là même qu’il est appelé à combattre. Il ne sait pas davantage que le cÅ“ur d’Aïda et celui de la fille du Pharaon brûlent pour lui de la même flamme.
Le roi entre en scène, suivi de son cortège de prêtres, de ministres et d’officiers ; il leur dit la nouvelle apportée par un messaÂger de la révolte d’Amonasro, et leur fait connaître que Rhadamès a été désigné par Isis elle-même pour marcher contre l’envahisseur. On entonne l’hymne de guerre, et le cortège se rend au temple de Vulcain, où Rhadamès doit revêtir les armes sacrées et invoquer la protection du Dieu des baÂtailles. Tandis qu’Amnéris lui remet l’éÂtendard qui doit le guider à la victoire, Aïda, dont le secret va bientôt être surÂpris par sa puissante rivale, demande tour à tour aux dieux qu’elle sert le triomÂphe de son père et celui de son amant. Et le rideau tombe sur la plainte touchante de la jeune esclave.
Le second tableau nous montre l’intéÂrieur du temple de Vulcain : c’est le Ramesséum de Thèbes, du temps de la dix-neuvième dynastie, restauré avec un art merveilleux. Au fond d’un vaste portique formé de colonnes de pierre, s’ouvre, une grande porte par laquelle on aperçoit le Nil et la chaîne lybique. Au milieu se dresse l’autel surmonté de la statue de Vulcain, revêtue des attributs propres à cette divinité. On voit reproduit sur la façade de l’autel ce bijou qui est au musée de Boulaq, et qui représente les emblèmes de la Haute et de la Basse-Egypte sous la forme du groupe de l’Uréus et du Vautour aux ailes déployées. Les muÂrailles sont couvertes d’inscriptions et de sujets religieux. Les légendes hiéroglyphiÂques sont de la plus scrupuleuse exactitude ; il en est de même de la disposition des personnages : les dieux tournent le dos à l’axe, et les rois en adoration ont le visage tourné vers cet axe. Des vases d’encens, vases asÂsyriens aux anses à tête de cheval, supÂportés par des trépieds d’or, figurent dans le temple comme des trophées des victoires égyptiennes. Ramphis et ses prêtres sont au pied de l’autel ; dans le sanctuaire, Termuthis et les prêtresses invoquent l’imÂmense Phtah, esprit animateur du monde, feu incréé, éternel, qui donne au soleil sa lumière, Phtah qui du néant a tiré le ciel et l’onde, vie de l’univers, source d’éternel amour.
Pendant que Rhadamès se dirige vers l’autel, les prêtresses exécutent la danse sacrée et placent un voile d’argent sur la tête du jeune guerrier. Après, une courte invocation à Vulcain, l’arbitre de toute guerre humaine, Rhadamès revêt l’armure que lui présente le grand-prêtre, et la toile tombe sur la reprise de l’hymne religieux et des danses mystiques.
C’est là une des pages les mieux réusÂsies de la partition, et assurément l’une des plus colorées. Au moment où Ramphis s’aÂdresse à la divinité :
Fume, custode e vindice.
Di questa sacra terra,
et la conjure d’étendre sa main protecÂtrice sur le sol égyptien, l’orchestre, qui jusque-là était resté dans la demi-teinte, se déchaîne tout à coup avec une superbe énergie, les violons lançant comme des fusées leurs gammes ascendantes, tandis que les basses, renforcées par les instrumens de cuivre, exécutent un dessin en mouvement contraire.
VerdiVerdi, GiuseppeGiuseppe Verdi (Roncole près Busseto/Italie, 9 octobre 1813 – Milan, 27 janvier 1901), compositeur. Il étudia avec Ferdinando Provesi à Busseto dès 1825 puis, de 1831 à 1835 avec Vincenzo Lavigna à Milan. De 1836 à 1839, il fut maestro di musica à Busseto puis retourna à Milan où son premiLire la suite… aime ces oppositions et les réussit quelquefois.
Les deux tableaux que je viens d’analyÂser forment le premier acte et doivent se succéder par un changement à vue ; mais ici, à cause de l’exiguïté de la scène (c’est un inconvénient auquel il sera facile de reÂmédier), on a été obligé d’en faire deux actes séparés par un entr’acte assez long. Aïda n’a pas d’ouverture ; on n’en écrit plus depuis que le public a pris l’habitude de ne venir au théâtre qu’après le lever du rideau. Une introduction dont la phrase principale est confiée au quatuor en sourÂdines, reproduit en style fugué la plainte amoureuse d’Aïda à la fin du premier tableau. Cette introduction m’a rappelé en même temps le prélude de LohengrinLohengrinLohengrin, opéra romantique en trois actes sur un livret en allemand et une musique de Richard Wagner créé au Théâtre Grand-ducal de Weimar le 28 août 1850.Lire la suite… et le Lamento qui sert de préface à la seconde partie des TroyensTroyens, LesLes Troyens, opéra en cinq actes sur un livret et une musique de Hector Berlioz dont les trois derniers actes furent créés sous la direction de Berlioz au Théâtre-Lyrique de Paris le 4 novembre 1863 sous le titre: Les Troyens à  Carthage.Lire la suite… (les Troyens à Carthage). Les violoncelles divisés accompagnent en canon le récit du grand-prêtre ; des fanÂfares de trompettes sonnent d’une façon assez caractéristique pendant le monologue de Rhadamès. La romance qui vient ensuite n’est pas absolument originale au point de vue mélodique, mais elle renferme de jolis détails dans l’accompagnement et dans l’instrumentation. Je citerai aussi le duo entre Rhadamès et Amnéris se terminant en trio par l’entrée d’Aïda, et dont la péÂroraison a de la chaleur et un accent très dramatique. L’hymne guerrier chanté par le roi et par le grand-prêtre, puis repris par le chÅ“ur, est d’un bon style, simple, large, un peu dans la manière de Hændel Handel, Georges FredericGeorge Frideric Haendel (Halle, 23 février 1685 – Londres, 14 avril 1759), compositeur. Il étudia la composition avec Friedrich Wilhelm Zachow, organiste à Halle. En 1703, il accepta le poste de violoniste dans l’orchestre de Hambourg. C’est là qu’il composa son premier opéra, Almira (1Lire la suite…; le grand air d’Aïda, dont la forme est toute moderne et n’a rien de commun, par conÂséquent, avec les cavatines que l’on conÂnaît, est une belle inspiration, très pathéÂtique et qui est vraiment écrite de main de maître. J’ai déjà parlé du second tableau, dont j’aime énormément la couleur poétiÂque, et dans lequel le compositeur a tiré un si heureux parti de deux mélodies orientales : le chant des prêtresses et l’air de danse exécuté par trois flûtes à l’unisÂson.
Eh bien ! je défie qui que ce soit, après avoir lu l’analyse à peu près technique de ces deux premiers tableaux, d’écrire une seule note des morceaux que j’ai cités, d’en chanter le moindre fragment. Alors à quoi bon tant de paroles inutiles ? Il se peut qu’on lise avec quelque intérêt la critique d’un ouvrage classique que l’on a souvent entendu, ou celle d’une partition que l’on a sous les yeux, à l’exécution de laquelle on a assisté la veille ou que l’on entendra le lendemain. BerliozBerlioz, Louis-HectorLouis-Hector Berlioz (La Côte Saint-André, 11 décembre 1803 – Paris, 8 mars 1869), compositeur. Il étudia au Conservatoire de Paris avec Lesueur et obtint le 1er Prix de Rome en 1830. La même année, il composa sa Symphonie fantastique. De retour de Rome, il composa Lelio ou le Retour à la vLire la suite… a écrit d’admirables pages en ce genre sur l’œuvre de SpontiniSpontini, Gaspare Luigi PacificoGaspare Luigi Pacifico Spontini (Maiolati près Ancona/Italie, 14 novembre 1774 – Maiolati près Ancona, 24 janvier 1851), compositeur. Il étudia la musique au conservatoire des Turchini à Naples et son premier opéra bouffe, Li puntigli delle donne, fut représenté à Rome en 1796. Plusieurs de Lire la suite…, de GluckGluck, Christoph WillibaldChristoph Willibald Gluck (Erasbach/Haut-Palatinat, 2 juillet 1714 – Vienne, 15 novembre 1787), compositeur. Né en Bohème, on ne sait rien de ses études scolaires ou musicales. En 1732, il alla à Prague, jouant du violon, et préférablement du violoncelle et chantant dans les chÅ“urs des églLire la suite… et de BeethovenBeethoven, Ludwig vanLudwig van Beethoven (Bonn, 16 décembre 1770 – Vienne, 26 mars 1827), compositeur. Enfant prodige qui donna son premier concert public à Bonn à huit ans. Il alla à Vienne et prit des leçons avec Haydn de 1792 à 1794 puis avec Albrechtsberger de 1794 à 1795 et avec Salieri vers 1799. Il compLire la suite…. Mais écrire du Caire à Paris que la romance de Rhadamès est en si bémol et que le chant de Termuthis, à la fin du dernier acte, reÂparaît dans le ton de sol bémol mineur, c’est tremper dans l’encre une méchante plume d’auberge pour ne rien dire du tout. Et d’ailleurs n’ai-je pas suffisamment défini l’impression qu’avait produite sur moi l’œuvre de VerdiVerdi, GiuseppeGiuseppe Verdi (Roncole près Busseto/Italie, 9 octobre 1813 – Milan, 27 janvier 1901), compositeur. Il étudia avec Ferdinando Provesi à Busseto dès 1825 puis, de 1831 à 1835 avec Vincenzo Lavigna à Milan. De 1836 à 1839, il fut maestro di musica à Busseto puis retourna à Milan où son premiLire la suite…, et le fait le plus intéresÂsant à signaler n’est-il pas celui de la transÂformation qui vient de s’opérer dans la maÂnière du célèbre maestro ?
Je vais donc poursuivre l’analyse du poëme et me contenter de noter au pasÂsage les morceaux qui m’ont le plus parÂticulièrement frappé.
Nous sommes, au second acte, dans un salon de l’appartement d’Amnéris. La fille du roi, la rivale d’Aïda, est entourée de Âjeunes esclaves qui la parent pour la fête triomphale pendant que des danseuses nuÂbiennes exécutent autour d’elle un pas bizarre, instrumenté d’une façon très pittoÂresque et très colorée. Est-ce un motif arabe ou une inspiration de VerdiVerdi, GiuseppeGiuseppe Verdi (Roncole près Busseto/Italie, 9 octobre 1813 – Milan, 27 janvier 1901), compositeur. Il étudia avec Ferdinando Provesi à Busseto dès 1825 puis, de 1831 à 1835 avec Vincenzo Lavigna à Milan. De 1836 à 1839, il fut maestro di musica à Busseto puis retourna à Milan où son premiLire la suite… ? On ne m’a pas suffisamment renseigné à ce sujet ; c’est l’un et l’autre, peut-être. Ce que je puis affirmer, c’est que le chÅ“ur des esÂclaves est fort joli et se termine par une phrase charmante qui module de sol miÂneur en sol naturel. Qu’on veuille bien me passer ce dernier trait. Aïda, trompée par les fausses caresses d’Amnéris, lui avoue qu’elle aime Rhadamès. Alors éclate entre les deux femmes une scène de jalousie dans laquelle l’esclave suppliante essaie vainement de fléchir le courroux de la vinÂdicative Egyptienne : « Tremble, ô vile esÂclave ! je suis l’arbitre de ta destinée…. Les furies de la haine me remplissent le cÅ“ur. » Une musique militaire se fait enÂtendre derrière la coulisse ; c’est l’hymne guerrier du premier tableau qui accomÂpagne le retour de Rhadamès victorieux.
La scène change et représente une des entrées de la ville de Thèbes. Sur le deÂvant, un groupe de palmiers ; à droite, le temple d’Athor-Aphrodite et un trône surÂmonté d’un dais de pourpre. Au fond, une longue avenue de sphynx, à l’extrémité de laquelle se découvre le panorama de la ville, avec ses pylônes aux grands mâts décorés de banderoles blanches et rouges. Au frontispice du dais qui surmonte le trône du roi est un épervier aux ailes déÂployées et tenant deux sceptres : le fouet (excitation) et le crochet (retenue), double emblème de la royauté, trouvé au temple d’Edfou. La place est encombrée de peuÂple. Le roi s’avance, suivi de ses ministres, des prêtres, officiers, porte-enseignes et flabellifères ; Amnéris, accompagnée de ses esclaves, s’asseoit à la droite du roi.
Alors commence le défilé, c’est-à -dire une procession merveilleuse, fantastique, d’une richesse inouïe, incomparable, et qui passe devant les yeux du spectateur comme un long éblouissement : En tête des troupes marchent deux sonneurs de tromÂpettes, instrumens munis de pistons, mais de forme antique et tels qu’on en a vu dans JosephJosephJoseph, opéra-comique en trois actes sur un livret d’Alexandre Duval mis en musique par Nicolas Méhul et créé à l’Opéra-Comique le 17 février 1807.Lire la suite…, à la dernière reprise de cet ouvrage à l’Opéra-Comique. Ces trompettes, lonÂgues et minces, ont été fabriquées à Milan et envoyées au Caire par VerdiVerdi, GiuseppeGiuseppe Verdi (Roncole près Busseto/Italie, 9 octobre 1813 – Milan, 27 janvier 1901), compositeur. Il étudia avec Ferdinando Provesi à Busseto dès 1825 puis, de 1831 à 1835 avec Vincenzo Lavigna à Milan. De 1836 à 1839, il fut maestro di musica à Busseto puis retourna à Milan où son premiLire la suite… lui-même. Les troupes se composent de deux corps formés chacun par trois pelotons. Les solÂdats du premier corps ont la dalmatique jaune et bleue ou rouge et blanche ; ces costumes ont été copiés à Bab-el-Molony sur le tombeau de Rhamsès III. Les deux premiers pelotons sont composés d’archers ; le troisième est armé de piques. Les trouÂpes du deuxième corps ont d’abord la masse d’armes et le bouclier ; suivent des nègres armés de piques, et ceux-là sont de vrais et superbes échantillons de la race ; enfin viennent les Schardana, vêtus de riches costumes exactement reproduits d’après les bas-reliefs. Au commencement du règne de Rhamsès, les Schardana enÂvahirent l’Egypte du côté de la CyréÂnaïque. Vaincus à la fin, ils entrèrent dans l’armée égyptienne et formèrent les gardes d’honneur du roi. Ils habitaient les îles de la Méditerranée, et sont vraisemblablement les ancêtres des Sardes actuels. Défilent ensuite quatre groupes de danseuses reÂprésentant l’Asie, l’Ethiopie, la Lybie et l’Egypte.
Les images des divinités symboliques s’aÂvancent à leur tour, les prêtres portant sur leurs épaules la barque sacrée d’Athor. Enfin paraît Rhadamès, monté sur un palanquin que soutiennent huit officiers escortés des gardes du roi et des principaux dignitaires de la cour. Le cortège est fermé par le groupe des prisonniers éthiopiens au milieu desquels est Amonasro, le père d’Aïda. La marche qui accompagne ce défilé splendide a beaucoup de caractère et je ne m’arrêterai pas à quelques réminiscences que l’on y a remarquées. J’aime le chant des femmes que reprennent ensuite en tutti les voix et l’orchestre ; j’aime aussi le récit d’Amonasro et le sextuor que ne dépare pas un vague souvenir du final de Norma.NormaNorma, opéra en deux actes sur un livret de Felice Romani (d’après Soumet et Lefèvre) mis en musique par Vincenzo Bellini, créé au Théâtre de la Scalla de Milan le 26 décembre 1831. Lire la suite… La fin de cet acte est bien bruyante et bien italienne, à ce qu’il m’a semblé.
Au lever du rideau du troisième acte, nous voyons les bords du Nil éclairés par un rayon de lune. Entre des rochers de granit s’élèvent d’élégans palmiers dont les ombres sont reflétées par les eaux du fleuve ; sur le sommet des rochers, à moitié caché par le feuillage, se dresse le temple d’Isis, reproduction fidèle du temple de Philoe. C’est DespléchinsDesplechin, Edouard-DesireEdouard Désiré Joseph dit Edouard Desplechin (Lille, 12 avril 1802 – Paris, 10 décembre 1871), peintre décorateur. Disciple de Ciceri, il réalisa de nombreux décors pour l’Opéra de Paris et aussi pour les autres scènes parisienne dont ceux de Gustave III (Auber, 1833), La Juive (HalLire la suite…, le grand artiste dont nous apprenions la mort le jour même de la représentation d’Aïda, qui a peint ce délicieux tableau tout entier de sa main.
Amnéris, conduite par le grand-prêtre, vient invoquer la déesse, la mère immorÂtelle et l’épouse d’Osiris. Le roi a récompensé le courage héroïque de Rhadamès, le vainÂqueur d’Amonasro, en lui donnant la main de sa fille. Et pendant qu’Amnéris prie dans le temple, Amonasro adjure Aida de ravir à Rhadamès, qu’elle attend, le secret des opéÂrations militaires qui se préparent contre les Ethiopiens encore une fois révoltés. Il y a là entre le père et la fille un duo dont certaines parties font songer à Mignon reÂgrettant la patrie absente : « Tu reverras les forêts embaumées, les fraîches vallées, nos temples d’or…. Epouse heureuse de ceÂlui que tu aimes tant, tu pourras jouir, d’un bonheur immense ! » — « Un seul jour d’un si doux enchantement, répond Aïda, une heure d’une telle joie, et puis mourir ! »
Rhadamès dévoile à Aida le fatal secret ; surpris et dénoncé par Amnéris, il reste entre les mains des prêtres, tandis qu’Amonasro et Aïda, qui essaient de fuir, sont poursuivis par les gardes du roi.
Le sixième tableau (quatrième acte) nous introduit dans une salle du palais ; à droite, la porte qui mène au souterrain où sont assemblés les prêtres, à gauche, l’allée conduisant à la prison de Rhadamès. On aperçoit au fond de la scène une statue colossale dont le dessin a été copié dans la première cour de Medinet-Abou. Rhadamès repousse les supplications d’Amnéris, qui veut le sauver, puis se rend dans le souterrain. Les interpellations des prêtres et leurs imprécations contre l’accusé qui refuse de se disculper, le silence de RhadaÂmès indiqué par un roulement de timbales dans la coulisse, les sanglots d’Amnéris restée seule sur le théâtre, voilà assuréÂment une scène capitale de l’ouvrage, non moins dramatique et non moins bien réusÂsie que celle du TrouvèreTrovatore, IlIl Trovatore, opéra en quatre actes sur un livret en italien de Salvadore Cammarano  complété par Leone Emanuele Bardare et mis en musique par Giuseppe Verdi. L’œuvre fut créée au Théâtre Apollo à Rome le 19 janvier 1853 et au Théâtre-Italien à Paris le 23 décembre 1854.Lire la suite… à laquelle on peut la comparer, même musicalement.
Rhadamès est déclaré traître ; il mourra. Au tableau final, la scène est divisée en deux étages, comme étaient certains temples de la Haute-Egypte ; en haut, le temÂple resplendissant de lumières ; en bas, le souterrain sombre. Rhadamès paraît au milieu d’une longue file d’arcades qui se perdent dans l’obscurité ; au-dessus, deux prêtres achèvent de sceller la pierre qui ferme l’entrée du souterrain. La flûte et la clarinette, à l’octave l’une de l’autre, imiÂtent un gémissement ; Rhadamès s’aperçoit qu’il n’est pas seul dans le souterrain. Aïda l’y a précédé, et on ne se demande pas comment elle y est venue ni comment elle a pu y rester cachée trois jours, tant il y a de poignante douleur dans les suprêmes étreintes, dans les éternels adieux des deux amans. Comme contraste à cette scène déchirante, on entend, dans la partie supérieure du temple, la reprise du chant de Termuthis, accomÂpagné par les danses des prêtresses. Et ici encore il nous faut louer l’habileté avec laquelle le compositeur a su combiÂner ensemble des lambeaux de phrases déjà entendues et si différentes par l’exÂpression et par le rhythme.
Le drame s’achève a mezza voce, l’orÂchestre murmurant en sourdines quelques notes vaporeuses sur les derniers regrets et les premiers espoirs que confie à RhaÂdamès l’amoureuse Aïda : « Vois-tu, l’ange radieux de la mort s’est approché de nous. Il nous emporte vers les joies éternelles sur des ailes d’or. Pour nous déjà le ciel s’est ouvert… Là cessent toutes douleurs… là commence l’extase d’un immortel amour !… »
Voilà certes un beau poëme, très dramatique, très musical, et qui eût tenté l’inspiration de plus d’un compositeur. DéÂpouillé de l’éblouissante mise en scène et des merveilles archéologiques dont il est entouré ici, il perdrait assurément aux yeux des spectateurs une grande partie de son prestige, mais il n’en conserverait pas moins la puissance de son action, fertile en péripéties dramatiques, et le charme de ses incidens poétiques et colorés.
Les principaux rôles d’Aïda sont conÂfiés à Mme Pozzoni-Anastasi et GrossiGrossi, EleonoraEleonora Grossi (ca. 1837 – Naples, ? janvier 1879), mezzo-soprano. Elle étudia au Conservatoire de Naples avant de faire ses débuts à 18 ans à Messine dans le rôle-titre de La Cenerentola (Rossini). De 1860 à 1862, elle fut engagée au Théâtre San Carlo de Naples, où elle se produisit Lire la suite…, à MM. StellerSteller, FrancescoFrancesco Steller ( ? – ?), baryton. Il se produisit sur les scènes des théâtres d’Italie puis à Moscou et à Barcelone (mars 1863) avec beaucoup de succès. Du 10 décembre 1867 à la fin mars 1868, il fut engagé au Théâtre-Italien de Paris puis au Théâtre de Trieste, avant de reveniLire la suite…, CostaCosta, Michael Andrew AngusMichael Andrew Angus Costa (Naples, 4 février 1808 – Hove/ Angleterre, 29 avril 1884), chef d’orchestre et compositeur. Il étudia avec Niccolo Zingarelli et le castrat Girolamo Crescentino et fut envoyé à Birmigham en 1829 pour chanter une cantate de son maitre, Isaiah (Zingarelli). Il s’iLire la suite…, MediniMedini, PaoloPaolo Medini (Bologne, Italie, 25 janvier 1837 – Salò/province de Brescia, Italie, 2 janvier 1911), basse. Très populaire sur toutes les scènes européennes, il excellait dans Rigoletto (Verdi), Don Carlos (Verdi), Les Huguenots (Meyerbeer) et L’Africaine (Meyerbeer). Il devint plus tard le cLire la suite… et Mongini Mongini, PietroPietro Mongini (Rome, 29 octobre 1839 – Milan, 27 avril 1874), basse puis ténor. Il fit ses débuts comme basse avant d’être engagé comme ténor à Gênes en 1853. En 1855, il débuta au Théâtre-Italien de Paris dans Lucia di Lammermoor (Donizetti). Deux ans plus tard, à Reggio Emilia, il crLire la suite…; l’exécution est excellente ; les chÅ“urs marchent avec ensemble et précision ; l’orÂchestre obéit docilement au bâton de commandement de son habile chef, le célèbre contre-bassiste BottesiniBottesini, GiovanniGiovanni Bottesini (Crema, 22 décembre 1821 – Parme, 7 juillet 1889), contrebassiste et compositeur. Il étudia la contrebasse, l’harmonie, le contrepoint et la composition au Conservatoire de Milan. Très doué, il finit brillamment ses études en 1839, donna son premier concert à Crema en 18Lire la suite….
Le théâtre du Caire est disposé et améÂnagé intérieurement comme la plupart des théâtres italiens ; il n’y a ni stalles de galeÂrie ni stalles de balcon, et les baignoires dominent l’orchestre. La décoration, or mat sur fond blanc est d’un goût parfait ; l’intérieur des loges est rouge foncé, le deÂvant est garni de tentures en velours de la même couleur ; un vestibule à colonnades précède l’entrée de l’orchestre et donne accès à deux escaliers latéraux qui conÂduisent aux étages supérieurs. Le foyer est au second étage ; il est spacieux et magniÂfiquement orné ; on s’y promène peu penÂdant les entr’actes. Les spectateurs à tarÂbouch viennent dans le vestibule et y fuÂment leur cigarette en lisant avec beauÂcoup de gravité une affiche qui leur interÂdit de fumer.
Je n’ai qu’à me louer de l’accueil qui m’a été fait par S. Exc. Drahnet-Bey [Draneht-Bey], le surintendant des théâtres du vice-roi, et par le khédive lui-même, que j’ai bien sincèrement félicité du succès d’Aïda. Ce prince aime les arts, et il le prouve : il a demandé à VerdiVerdi, GiuseppeGiuseppe Verdi (Roncole près Busseto/Italie, 9 octobre 1813 – Milan, 27 janvier 1901), compositeur. Il étudia avec Ferdinando Provesi à Busseto dès 1825 puis, de 1831 à 1835 avec Vincenzo Lavigna à Milan. De 1836 à 1839, il fut maestro di musica à Busseto puis retourna à Milan où son premiLire la suite… la partition d’Aïda, et à M. UssiUssi, StefanoStefano Ussi (Florence, 3 septembre 1822 – Florence, ?, 1901), peintre. Il étudia avec Enrico Pollastrini à l’Académie des beaux-arts de Florence. S’étant enrôlé comme volontaire à la première guerre d’indépendance de l’Italie, il fut fait prisonnier par les troupes autrichiennesLire la suite…, l’un des peintres les plus distinÂgués de l’école de Florence, un tableau dont j’ai admiré l’esquisse, et qui repréÂsente le départ du Tapis pour la Mecque. Cette cérémonie a lieu demain, et je compte bien y assister.
Avouez qu’un prince comme Ismaïl-PachaIsmaïl-PachaIsmaïl-Pacha (Le Caire, 12 janvier 1830 – Emirgan/Turquie, 2 mars 1895) vice-roi d’Egypte. Il était le petit-fils de Mohammed Ali et le deuxième fils d’Ibrahim-Pacha. Il étudia à Paris à l’Ecole d’état-major et succéda à son oncle, le vice-roi Wali, le 19 janvier 1863. Ce n’est Lire la suite… vaut bien, tel souverain qui gagne de grandes batailles, et surtout tel autre qui les perd.
E. Reyer.
Personnes discutées
Personnes citées
Oeuvres discutées
Oeuvres citées
Notes d'édition
Cet article sera repris dans le recueil Notes de Musique qu’Ernest Reyer publiera chez Charpentier et Cie, à Paris en 1875.
Dans le recueil Notes de Musique, la mention du frère de Donizetti est omise : « Un motif turc qu’on lui a envoyé de Constantinople… »
Dans le recueil Notes de Musique, la ponctuation est changée: « Ramphis et ses prêtres sont au pied de l’autel, dans le sanctuaire; Termuthis et les prêtresses.… »
Schardana aussi appelé Shardanes, un des noms des Peuples de la mer qui par deux fois envahirent la région du delta du Nil en Egypte et furent refoulés. L’étymologie du nom suggère qu’ils seraient originaires de la Sardaigne.
Dans le recueil Notes de Musique, contrairement à l’article du Journal des Débats, un « s » du pluriel est ajouté à «…les Schardanas… »