FEUILLETON DU JOURNAL DES DÉBATS

DU 13 DECEMBRE 1872.

REVUE MUSICALE.

  

Réflexions préliminaires. — Théâtre de l’Opéra-ComiqUe : Don César de Bazan, opéra-comique en trois actes et quatre tableaux, paroles de MM. d’Ennery et ChantepieChantepie, Jules-Gustave-AdolpheJules-Gustave-Adolphe Chantepie (Paris, 11 août 1842 – Meudon, 3 mai 1885), écrivain et librettiste. Il fut rédacteur au Moniteur universel et à la Gazette diplomatique. Il écrivit des contes, des poèmes dont plusieurs furent mis en musique par Jules Duprato et Jean-Baptiste Faure, et des liLire la suite…, musique de M. Jules Massenet. — Société des Concerts du Conservatoire : Fragmens de la Damnation de FaustDamnation de Faust, LaLa Damnation de Faust, légende dramatique en quatre parties, Op. 24, pour solistes, double chœur, chœur d’enfants et orchestre sur un texte de Gérard de Nerval traduit de Wolfganf von Goethe avec des ajouts d’Almire Gandonnière, mis en musique par Hector Berlioz et créé à l’Opéra-ComLire la suite…, d’Hector BerliozBerlioz, Louis-HectorLouis-Hector Berlioz (La Côte Saint-André, 11 décembre 1803 – Paris, 8 mars 1869), compositeur. Il étudia au Conservatoire de Paris avec Lesueur et obtint le 1er Prix de Rome en 1830. La même année, il composa sa Symphonie fantastique. De retour de Rome, il composa Lelio ou le Retour à la vLire la suite…. Salons du Grand-Hôtel : Symphonie-cantate de M. le vicomte d’Arneiro : Mme RebouxReboux, Mélanie-Alphonsine-CharlotteMélanie-Alphonsine-Charlotte Reboux (Saint-Josse-ten-Noode/Belgique, 28 avril 1843 – Paris, 16 mars 1876), soprano. Elle étudia au Conservatoire de Paris, où elle obtint un 2nd prix d’opéra-comique en 1861. En 1861, elle fut engagée à l’Opéra de Paris, où elle chanta le rôle du pâtreLire la suite…. — As­semblée Nationale : Le rapport de M. BeuléBeulé, Charles-ErnestCharles-Ernest Beulé (Saumur, 29 juin 1826 – Paris, 4 avril 1874), archéologue et homme politique. Il étudia au collège Rollin puis de 1845 à 1848 à l’Ecole normale, d’où il sortit second agrégé des lettres ; après une année passée à Moulins, il rejoignit l’Ecole d’Athènes. Lire la suite… en faveur des subventions des théâtres ; le discours de M. de Belcastel contre ces mêmes subventions : l’obole du paysan et le soulier de CorneilleCorneille, PierrePierre Corneille (Rouen, 6 juin 1601 – Paris, 1er octobre 1684), auteur dramatique. Il débuta au théâtre avec des comédies dont Mélite (1629) et L’Illusion comique (1635/36). Il devint célèbre avec sa tragi-comédie Le Cid (1637). Se succédèrent alors des tragédies parmi lesquelles HoracLire la suite….

Parmi les artistes qui font chaque jour de nouveaux efforts pour flatter le goût du public, les musiciens sont peut-être ceux qui montrent le plus de zèle. L’un prend sa guitare, l’autre son chalumeau. Vous plairait-il, Monseigneur, de remonter avec moi le fleuve Jaune ou bien de le des­cendre ? Mon tam-tam est suspendu à la proue de ma cange, et j’ai tout un jeu de clochettes pour vous divertir. Aimez-vous mieux voyager dans le beau pays des Espagnes ? Qu’on m’apporte mes castagnettes. Je vais vous marquer le rhythme des chan­sons andalouses et des boléros de Séville :

La lune brille,

Le ciel scintille,

Viens, ma gentille,

Suis ton Pedro.

(Les Deux Aveugles.Deux Aveugles, LesLes Deux Aveugles, bouffonnerie en un acte sur un livret de Jules Moinaux mis en musique par Jacques Offenbach et créée au Théâtre des Bouffes-Parisiens le 5 juillet 1855.Lire la suite…)

Mais monseigneur le public a ses capri­ces : la Chine et le Japon ne l’amusent plus, et l’Espagne l’ennuie. Monseigneur le public est une jolie femme, monseigneur le public est un enfant, un enfant dont l’éducation se fait bien lentement, peut-être parce qu’elle se fait mal. Ce drame est trop sombre : laissez donc le plain-chant à l’église et ne nous faites pas croire que vos chanteurs chantent en latin. Ceci, une fo­lie ? Mais on y mènerait des rosières. Ça, un opéra-comique ? Mais rien n’est plus lugu­bre en vérité. Nous le connaissons de vieille date, votre héros moitié gentil­homme, moitié bandit : il portait jadis une cape trouée et s’exprimait dans un langage pittoresque en alexandrins magnifiques. Aujourd’hui, il a une cape neuve et parle comme un vulgaire héros de mélodrame quand il ne chante pas comme un étudiant amoureux d’une manola.

Enfin, monseigneur le public n’est ja­mais content, et les pauvres directeurs sont dans une bien grande perplexité.

On ne peut nier qu’il se soit fait depuis un certain temps, ici et là, partout où la chose a été possible sans qu’il y eût à cou­rir de trop grands risques, plus d’une ten­tative louable et presque toujours en fa­veur de quelque représentant de la jeune école. La Société des concerts elle-même, entraînée par le courant, a répété dimanche des fragmens de la Damnation de FaustDamnation de Faust, LaLa Damnation de Faust, légende dramatique en quatre parties, Op. 24, pour solistes, double chœur, chœur d’enfants et orchestre sur un texte de Gérard de Nerval traduit de Wolfganf von Goethe avec des ajouts d’Almire Gandonnière, mis en musique par Hector Berlioz et créé à l’Opéra-ComLire la suite…, qu’elle avait osé mettre sur un de ses pro­grammes de la saison dernière. Des frag­mens de la Damnation de FaustDamnation de Faust, LaLa Damnation de Faust, légende dramatique en quatre parties, Op. 24, pour solistes, double chœur, chœur d’enfants et orchestre sur un texte de Gérard de Nerval traduit de Wolfganf von Goethe avec des ajouts d’Almire Gandonnière, mis en musique par Hector Berlioz et créé à l’Opéra-ComLire la suite…, de ce damné BerliozBerlioz, Louis-HectorLouis-Hector Berlioz (La Côte Saint-André, 11 décembre 1803 – Paris, 8 mars 1869), compositeur. Il étudia au Conservatoire de Paris avec Lesueur et obtint le 1er Prix de Rome en 1830. La même année, il composa sa Symphonie fantastique. De retour de Rome, il composa Lelio ou le Retour à la vLire la suite…, de cet extravagant, de ce fou, de cet être maladif et bizarre, de ce révolutionnaire, de ce briseur d’idoles, de celui enfin qu’on a appelé l’Antéchrist de la musique ! Est-il bien possible qu’on ouvre pour lui les portes du temple aus­tère, du temple de l’art classique, du tem­ple où se conservent les grandes traditions, du temple enfin où depuis quarante ans deux générations de fidèles se sont succédé avec les mêmes enthousiasmes et les mêmes dédains, avec les mêmes habitudes d’extase et de recueillement ?

C’est qu’il y a bientôt quatre ans que cet être maladif et bizarre est mort.

La guerre qui a proscrit Richard WagnerWagner, RichardRichard Wagner (Leipzig, 22 mai 1813 – Venise, 13 février 1843), compositeur. Il étudia la musique tout d’abord en autodidacte puis, à partir de 1831, à l’université de Leipzig avec C. T. Weinlig. Chef des chœurs à Wurtzbourg en 1831, il devint directeur musical à Magdebourg de 1834 àLire la suite… nous aurait-elle ramené Hector Berlioz ? Certes, je ne compare pas l’un à l’autre, le maître allemand et le maître français ; mais ce même public qui les a anathématisés tous les deux et qui s’est plu à les confondre, comprendrait-il enfin combien la diffé­rence est grande entre ces deux génies ré­voltés ? Et, vraiment, je le demande aux artistes et aux amateurs de bonne foi, est-ce bien un génie révolté que celui qui a écrit le septuor des TroyensTroyens, LesLes Troyens, opéra en cinq actes sur un livret et une musique de Hector Berlioz dont les trois derniers actes furent créés sous la direction de Berlioz au Théâtre-Lyrique de Paris le 4 novembre 1863 sous le titre: Les Troyens à Carthage.Lire la suite… et le duo de Béatrice et BénédictBéatrice et BénédictBéatrice et Bénédict, opéra-comique en deux actes sur un livret de Hector Berlioz, d’après Shakespeare, mis en musique par Hector Berlioz et créé au Théâtre de Bade le 9 août 1862.Lire la suite…, l’adagio de Roméo et JulietteRomeo et JulietteRoméo et Juliette, symphonie dramatique, Op. 17, pour solistes, chœur et orchestre sur un texte d’Emile Deschamps d’après William Shakespeare, composée par Hector Berlioz et créée à la Salle du Conservatoire de Paris le 24 novembre 1839.Lire la suite…, la marche de HaroldHarold en ItalieHarold en Italie, symphonie en quatre parties pour orchestre avec alto principal. Ecrite à la demande de Nicolo Paganini, elle fut créée à la salle du Conservatoire de Paris le 23 novembre 1834.Lire la suite…, l’air de Méphistophélès et la scène des Sylphes ?

Je jure sur les mânes de BeethovenBeethoven, Ludwig vanLudwig van Beethoven (Bonn, 16 décembre 1770 – Vienne, 26 mars 1827), compositeur. Enfant prodige qui donna son premier concert public à Bonn à huit ans. Il alla à Vienne et prit des leçons avec Haydn de 1792 à 1794 puis avec Albrechtsberger de 1794 à 1795 et avec Salieri vers 1799. Il compLire la suite…, vo­tre dieu et le mien, que cette symphonie de la Damnation de FaustDamnation de Faust, LaLa Damnation de Faust, légende dramatique en quatre parties, Op. 24, pour solistes, double chœur, chœur d’enfants et orchestre sur un texte de Gérard de Nerval traduit de Wolfganf von Goethe avec des ajouts d’Almire Gandonnière, mis en musique par Hector Berlioz et créé à l’Opéra-ComLire la suite… est un chef-d’œuvre, une œuvre poétique et admira­ble, une œuvre toute pleine de mélodies exquises, une composition hardie et origi­nale, où l’auteur nous dit cependant à cha­que page son respect pour les procédés et les formules classiques. Vous l’admirerez un jour comme je l’admire : quelques unes de vos injustes préventions ne se sont-elles pas dissipées déjà ? Et puisque hier vous en avez applaudi des frag­mens, demain vous voudrez l’entendre tout entière ; vous la demanderez et on vous la donnera. C’est par la Société des concerts, c’est par cette phalange sans pa­reille que l’œuvre de BerliozBerlioz, Louis-HectorLouis-Hector Berlioz (La Côte Saint-André, 11 décembre 1803 – Paris, 8 mars 1869), compositeur. Il étudia au Conservatoire de Paris avec Lesueur et obtint le 1er Prix de Rome en 1830. La même année, il composa sa Symphonie fantastique. De retour de Rome, il composa Lelio ou le Retour à la vLire la suite… doit être ré­vélée aux plus sceptiques, aux plus incré­dules, aux plus entêtés. Eh quoi ! un tel maître se serait produit parmi nous, et c’est à des étrangers que nous laisserions, même après sa mort, le soin de sa gloire et l’hon­neur de sa renommée.

Il nous souvient du festival qui fut donné à l’Opéra le 22 mars 1870, et auquel nos premiers artistes voulurent bien prêter leur concours. En ce temps-là, nous étions loin de pressentir les terribles événemens qui se sont accomplis depuis, et l’Opéra était dirigé par M. Emile PerrinPerrin, EmileÉmile Perrin (Rouen, 8 janvier 1814 – Paris, 8 octobre 1885), directeur. Il étudia la peinture avec le baron Antoine-Jean Gros et Paul Delaroche et exposa au Salon régulièrement de 1841 à 1848 tout en écrivant des critiques d’art dans les journaux. Le 1er Mai 1848 il succéda à Alexandre Lire la suite…. Aujourd’hui, M. Emile PerrinPerrin, EmileÉmile Perrin (Rouen, 8 janvier 1814 – Paris, 8 octobre 1885), directeur. Il étudia la peinture avec le baron Antoine-Jean Gros et Paul Delaroche et exposa au Salon régulièrement de 1841 à 1848 tout en écrivant des critiques d’art dans les journaux. Le 1er Mai 1848 il succéda à Alexandre Lire la suite… est administrateur général du Théâtre-Français, il y a peu de grands artistes à Paris, et le public se montre plus empressé à soulager les grandes infortunes qu’à concourir aux apothéoses des gloires méconnues. Il ne faut donc pas songer cette année à marquer par une solennité musi­cale la date commémorative de la mort de Berlioz Berlioz, Louis-HectorLouis-Hector Berlioz (La Côte Saint-André, 11 décembre 1803 – Paris, 8 mars 1869), compositeur. Il étudia au Conservatoire de Paris avec Lesueur et obtint le 1er Prix de Rome en 1830. La même année, il composa sa Symphonie fantastique. De retour de Rome, il composa Lelio ou le Retour à la vLire la suite…; il ne faut pas songer davantage, bien qu’un assez grand nombre de per­sonnes m’y aient encouragé, à la réalisa­tion d’un projet dont le succès du festival de l’Opéra m’avait donné l’idée : l’organisa­tion d’une série de concerts consacrés à l’exécution des œuvres de l’illustre compo­siteur.

Mais les impossibilités matérielles qui nous arrêtent n’existent pas pour une So­ciété libre et maîtresse d’elle-même comme la Société des concerts et ne sauraient, par conséquent, arrêter l’élan de son zèle. Elle compte dans son sein et parmi les mem­bres de son comité des artistes qui ont connu BerliozBerlioz, Louis-HectorLouis-Hector Berlioz (La Côte Saint-André, 11 décembre 1803 – Paris, 8 mars 1869), compositeur. Il étudia au Conservatoire de Paris avec Lesueur et obtint le 1er Prix de Rome en 1830. La même année, il composa sa Symphonie fantastique. De retour de Rome, il composa Lelio ou le Retour à la vLire la suite…, qui l’ont aimé et qui en plus d’une occasion ont su rendre hom­mage à l’élévation de son talent, à la puissance de son génie. Que ceux-là pren­nent donc une initiative dont il leur sera tenu compte ; que M. DeldevezDeldevez, Edme-Marie-ErnestEdme-Marie-Ernest [Edmé, Édouard] Deldevez (Paris, 31 mai 1817 – Paris, 6 novembre 1897), chef d’orchestre et compositeur. Il étudia au Conservatoire de Paris et obtint un second prix de Rome en 1838. Il joua comme violoniste dans l’orchestre de l’Opéra et celui de la Société des ConceLire la suite…, l’éminent musicien, le chef habile et éprouvé que la Société de la rue Bergère vient d’appeler à l’honneur de la diriger, appuie de son au­torité et de son influence une motion qui se heurtera à peine à quelques objections timides et isolées, et sur le programme de l’un des premiers concerts du mois de mars (BerliozBerlioz, Louis-HectorLouis-Hector Berlioz (La Côte Saint-André, 11 décembre 1803 – Paris, 8 mars 1869), compositeur. Il étudia au Conservatoire de Paris avec Lesueur et obtint le 1er Prix de Rome en 1830. La même année, il composa sa Symphonie fantastique. De retour de Rome, il composa Lelio ou le Retour à la vLire la suite… est mort dans la nuit du 7 au 8 mars 1869) nous verrons inscrites la symphonie de Roméo et JulietteRomeo et JulietteRoméo et Juliette, symphonie dramatique, Op. 17, pour solistes, chœur et orchestre sur un texte d’Emile Deschamps d’après William Shakespeare, composée par Hector Berlioz et créée à la Salle du Conservatoire de Paris le 24 novembre 1839.Lire la suite…, la Damna­tion de FaustDamnation de Faust, LaLa Damnation de Faust, légende dramatique en quatre parties, Op. 24, pour solistes, double chœur, chœur d’enfants et orchestre sur un texte de Gérard de Nerval traduit de Wolfganf von Goethe avec des ajouts d’Almire Gandonnière, mis en musique par Hector Berlioz et créé à l’Opéra-ComLire la suite… ou cette sublime trilogie de l’Enfance du ChristEnfance du Christ, L’L’Enfance du Christ, trilogie sacrée pour récitant (ténor), soli, chœur et orchestre sur un livret et une musique de Hector Berlioz, créée à la salle Herz à Paris le 10 décembre 1854. Les trois parties de cette œuvre ont pour titre: Le Songe d’Hérode; La Fuite en Egypte; L’ArrivéLire la suite… tout entière.

Je demande pardon à M. MassenetMassenet, Jules-Emile-FrédéricJules-Émile-Fréderic Massenet (Maontaud/Loire, 12 mai 1842 – Paris, 13 août 1912), compositeur. Il étudia au Conservatoire de Paris, où il obtint un 1er prix de piano en 1859 puis un 1er prix de contrepoint et fugue ainsi que le 1er Prix de Rome en 1863. à Rome, Liszt lui confia une élève,Lire la suite… de cette longue digression à la louange d’un maître qu’il n’a peut-être pas toujours fidèlement servi, mais qu’il a toujours honoré.

Est-il bien nécessaire que je vous conte l’histoire de don César de Bazan, comte de Garofa, près de Velalcazar, ami de cœur de Goulatromba et cousin de don Salluste ? Avec le don César de Ruy-BlasRuy-BlasRuy-Blas, dramma lirico en 4 actes sur un livret de Carlo d’Ormeville d’après le drame éponyme de Victor Hugo, mis en musique par Filippo Marchetti et créé au théâtre de La Scala de Milan le 3 avril 1869.Lire la suite…, M. d’En­nery avait fait un drame ; avec le drame de M. d’Ennery, M. ChantepieChantepie, Jules-Gustave-AdolpheJules-Gustave-Adolphe Chantepie (Paris, 11 août 1842 – Meudon, 3 mai 1885), écrivain et librettiste. Il fut rédacteur au Moniteur universel et à la Gazette diplomatique. Il écrivit des contes, des poèmes dont plusieurs furent mis en musique par Jules Duprato et Jean-Baptiste Faure, et des liLire la suite…, un poëte de la jeune pléiade, a fait un opéra-comique. Et dans l’opéra-comique du jeune poëte, pas plus que dans le drame du célèbre drama­turge, il n’est question, de Goulatromba et de don Salluste. Mais on y voit le roi d’Espagne lui-même et la charmante et sympathique figure de Maritana. Quant à l’ami de cœur de don César, il se nomme Lazarille.

Maritana est une bohémienne, une chanteuse des rues, et, quand elle chante, la foule l’environne. Le roi en est fort épris et confie sa peine au marquis de Santarem, premier ministre et serviteur du roi. Ce marquis de Santarem, qui est un homme habile en toutes choses, servira ses amours en servant les amours de son maître. Il aime la reine et ne désespère point de s’en faire aimer, quand il aura détaché d’elle son royal époux.

Au premier acte, don César a tué un ca­pitaine des gardes, et pour ce crime l’édit est formel : il sera pendu. Si on lui fait grâce de la corde, supplice humiliant pour un gentilhomme, si au lieu du bourreau on lui envoie douze arquebusiers, c’est à la condition qu’il se laissera marier in ex­tremis à une femme voilée, dont il ne saura pas le nom et qu’il ne connaîtra pas. Cette condition acceptée, le mariage s’accom­plit.

Marié,

Fusillé ;

Le diable m’emporte

Si jamais

Je croyais

Finir de la sorte !

Une femme est amenée dans la prison de don César. Cette femme, c’est Maritana, et la pauvre enfant ne se doute guère que douze arquebusiers sont là derrière la cou­lisse qui vont la rendre veuve dans un in­stant. A la seconde représentation on a laissé les arquebusiers, mais on a supprimé les juges qui venaient en robe rouge, comme des magistrats de Cour d’appel, lire sa sen­tence de mort à l’infortuné don César.

Mais rassurez-vous : les armes ont été chargées par Lazarille, et, après que les arquebusiers ont fait leur besogne, don César se relève, embrasse Lazarille et se sauve par la poterne de la prison. Ainsi finit le deuxième acte.

A l’acte suivant, don César, que la nos­talgie a ramené à Madrid, arrive chez lui, dans le palais de San-Fernando, qu’habite Maritana, tout juste pour surprendre le roi aux pieds de sa femme. « Votre sort, Mon­seigneur, est aussi triste que le mien. En traversant tout à l’heure les sombres allées du parc royal, j’ai aperçu le marquis de Santarem effleurant de ses lèvres la main de la reine. » Et quand don César a suffi­samment torturé l’âme du roi par le récit de cet outrage, il lui dit fièrement ceci :

Depuis quand, monseigneur, dans notre vieille Espagne,

Souffre-t-on devant soi

Qu’on insulte son roi ?

J’aurais vu sous mes yeux ce crime se commettre

Sans châtier le traître !…

……………………………………………………………………………………….

Ce collier d’or que votre main royale

Sur sa poitrine si loyale

Daigna mettre jadis,

Sur son cadavre je l’ai pris.

Et voici mon épée !

Du sang de cet infâme elle est encor trempée.

Ainsi chante don César, sans s’apercevoir que la vieille Espagne ne rime à rien. Le roi, de son côté, a bien autre chose à faire qu’à se soucier d’une rime absente. Il par­donne à don César, qui lui pardonne aussi, et envoie l’heureux époux de la fidèle Ma­ritana gouverner la province de Grenade, qui est à cent lieues de Madrid.

Ah ! qu’à jamais l’amour sème

Des roses sous nos pas,

Et que la mort elle-même

Ne nous sépare pas !

Nous ne nous attendions guère, cela va de soi, à retrouver dans la partition de Don César, avec son ingénuité primitive, le compositeur de la Grand’Tante ;Grand’ Tante, LaLa Grand’ Tante, opéra-comique en un acte sur un livret de Jules Adenis et Charles Grandvallet mis en musique par Jules Massenet et créé à l’Opéra-Comique de Paris le 3 avril 1867.Lire la suite… mais nous avons été surpris de n’y point rencontrer, avec toutes ses délicatesses et toute sa grâce, l’auteur des Poèmes d’avril.Poèmes d’avril, op. 14Poèmes d’avril, op. 14, recueil de huit mélodies pour voix et piano sur des poèmes d’Armand Silvestre mis en musique par Jules Massenet. L’œuvre est dédiée à Ernest Reyer.Lire la suite… Un jeune musicien d’autant de talent et d’autant d’espérance que M. MassenetMassenet, Jules-Emile-FrédéricJules-Émile-Fréderic Massenet (Maontaud/Loire, 12 mai 1842 – Paris, 13 août 1912), compositeur. Il étudia au Conservatoire de Paris, où il obtint un 1er prix de piano en 1859 puis un 1er prix de contrepoint et fugue ainsi que le 1er Prix de Rome en 1863. à Rome, Liszt lui confia une élève,Lire la suite… ne pouvait-il donner à ses inspirations une couleur es­pagnole autrement que par des réminis­cences empruntées au répertoire national d’YradierYradier y Salaverri, Sebastian deSebastian de Yradier [Iradier] y Salaverri (Lanciego/Alava, Espagne, 20 janvier 1809 – Vitoria/Alava, Espagne, 6 décembre, 1865), compositeur et organiste. Il fut engagé comme organiste à l’église San Miguel Arcangel à Vitoria en 1825 et, deux ans plus tard, il brilla et gagna au concours lLire la suite… et de Gastambide [Gaztambide] ? Les Sévillanes et les Aragonaises ont fait leur temps ; on en a beaucoup usé, beaucoup abusé chez nous, et je ne serais point surpris qu’on en fût las, même à Séville.

J’aurais voulu du moins, à côté de ces réminiscences volontaires, trouver plus personnelle, plus originale et plus châtiée l’inspiration de M. MassenetMassenet, Jules-Emile-FrédéricJules-Émile-Fréderic Massenet (Maontaud/Loire, 12 mai 1842 – Paris, 13 août 1912), compositeur. Il étudia au Conservatoire de Paris, où il obtint un 1er prix de piano en 1859 puis un 1er prix de contrepoint et fugue ainsi que le 1er Prix de Rome en 1863. à Rome, Liszt lui confia une élève,Lire la suite….

On m’a si souvent reproché l’extrême bienveillance de ma critique, que je me sens quelquefois obligé de forcer la note, bien malgré moi. Et la seule chose qui puisse me consoler aujourd’hui, c’est qu’en faisant retomber sur M. MassenetMassenet, Jules-Emile-FrédéricJules-Émile-Fréderic Massenet (Maontaud/Loire, 12 mai 1842 – Paris, 13 août 1912), compositeur. Il étudia au Conservatoire de Paris, où il obtint un 1er prix de piano en 1859 puis un 1er prix de contrepoint et fugue ainsi que le 1er Prix de Rome en 1863. à Rome, Liszt lui confia une élève,Lire la suite… les ri­gueurs de ma plume, on ne dira pas que c’est aux faibles que je m’en prends.

Il est bien évident, en effet, que le mu­sicien qui a écrit le quatuor du duel et le duo bouffe du deuxième acte, il est plus évident encore que le musicien qui a in­strumenté l’entr’acte du troisième tableau et la partie religieuse de la scène du ma­riage est un fort habile musicien. Mais, chez un jeune compositeur, l’habileté pous­sée à ses dernières limites est un danger dont il faut se méfier. M. MassenetMassenet, Jules-Emile-FrédéricJules-Émile-Fréderic Massenet (Maontaud/Loire, 12 mai 1842 – Paris, 13 août 1912), compositeur. Il étudia au Conservatoire de Paris, où il obtint un 1er prix de piano en 1859 puis un 1er prix de contrepoint et fugue ainsi que le 1er Prix de Rome en 1863. à Rome, Liszt lui confia une élève,Lire la suite… a mis, dit-on, six mois seulement à écrire sa partition. Ce n’est pas de cela que j’aurais voulu le complimenter.

J’allais oublier la Berceuse, que chante Lazarille au début du deuxième acte. Ce morceau-là ferait à lui seul le succès d’un album : on l’a fort applaudi le soir de la première représentation, et je crois même qu’on l’a bissé.

Le vicomte d’Arneiro, gentilhomme por­tugais et compositeur, a fait exécuter sa­medi dernier, au profit des Alsaciens-Lor­rains, dans les salons du Grand-Hôtel, une symphonie-cantate qu’il a écrite sur des textes latins. Cela a fait beaucoup de bruit et très peu d’argent ; les exécutans étaient fort nombreux, mais il y avait peu de monde dans la salle. Après le concert, un lunch artistique, auquel étaient conviés les membres de la presse musicale parisienne, a été offert par M. le vicomte d’Arneiro aux artistes qui lui avaient prêté leur con­cours, et parmi lesquels j’ai remarqué Mme Mélanie Reboux.

Je ne puis parler du lunch artistique, n’y ayant point assisté, et j’ai dit du concert tout ce que je pouvais en dire.

Les subventions théâtrales ont été vo­tées. Le rapport si clair, si concis et d’une forme si attrayante, rédigé par M. BeuléBeulé, Charles-ErnestCharles-Ernest Beulé (Saumur, 29 juin 1826 – Paris, 4 avril 1874), archéologue et homme politique. Il étudia au collège Rollin puis de 1845 à 1848 à l’Ecole normale, d’où il sortit second agrégé des lettres ; après une année passée à Moulins, il rejoignit l’Ecole d’Athènes. Lire la suite…, avait déjà rendu la grande majorité de l’Assemblée sympathique à une cause que le ministre des beaux-arts est venu plaider ensuite avec son éloquence habituelle. M. de Belcastel, qui en principe repousse les subventions des théâtres parce qu’il n’y en avait pas au temps de RacineRacine, JeanJean Racine (La Ferté-Milon, 22 décembre 1639 – Paris, 21 avril 1699), auteur dramatique et poète. Orphelin de bonne heure, il reçut une éducation religieuse et littéraire aux Petites écoles de Port-Royal (1646-1655). Il se consacra aux lettres et sa première pièce de théâtre, AlexandreLire la suite… et de Cor­neilleCorneille, PierrePierre Corneille (Rouen, 6 juin 1601 – Paris, 1er octobre 1684), auteur dramatique. Il débuta au théâtre avec des comédies dont Mélite (1629) et L’Illusion comique (1635/36). Il devint célèbre avec sa tragi-comédie Le Cid (1637). Se succédèrent alors des tragédies parmi lesquelles HoracLire la suite…, en a été pour ses frais d’imagination et ses citations anecdotiques. Ah ! le beau temps, en effet, que celui où le plus grand poëte tragique dont la France s’honore s’en allait lui-même, chez le savetier voisin, faire raccommoder son soulier !

M. de Belcastel trouve qu’il est « répugnant de prendre l’obole dans les mains du paysan pour la jeter à la tête d’un ténor ou aux pieds d’une danseuse qu’il ne verra jamais. » Ceci est une allusion plus directe à la subven­tion de l’Opéra. Mais ce n’est ni à la tête d’un ténor ni aux pieds d’une danseuse que l’on jette aujourd’hui la plus grande partie de cette subvention, de cette obole rustique. L’honorable député eût pu s’en convaincre très facilement à l’aide de documens qu’on n’eût certainement pas re­fusé de lui communiquer, si, au lieu de régaler la Chambre d’une boutade humoristique, il eût voulu faire un discours sé­rieux.

Nous regrettons que le ministre ait cru devoir abandonner les 60,000 fr. accordés l’année dernière au Théâtre-Lyrique, jus­qu’au jour où ce théâtre si utile et qui a rendu de si grands services à l’art et aux compositeurs, renaîtra de ses cendres. Ces 60,000 fr. n’auraient-ils pu s’ajouter à la subvention de l’Opéra-Comique qui, de 240,000 est tombée à 140,000 fr. ? Depuis deux ans le théâtre de l’Opéra-Comique a beaucoup fait pour les jeunes compositeurs, et si les jeunes compositeurs n’ont pas plus fait pour lui, franchement ce n’est pas sa faute.

E. Reyer.