L’Athenæum français, 6 novembre 1852, p. 296-297 (article signé Ern. Reyer).

Théâtres. – chronique musicale.

Théâtre Lyrique. La Ferme de KilmoorFerme de Killmoor, LaLa Ferme de Killmoor,  opéra-comique en deux actes sur un livret de Charles Deslys et Eugène Woestyn mis en musique par Alphonse Varney et créé au Théâtre-Lyrique le 27 octobre 1852.Lire la suite…, opéra-comique en deux actes, paroles de MM. Charles DeslysDeslys, CharlesCharles Collinet dit Deslys (Paris, 1er mars 1821 – Paris, 13 mars 1885), acteur, chanteur, écrivain, librettiste. Il se produisit sur les scènes des théâtres du Midi, et particulièrement à Toulouse. Il retourna à Paris en 1846 et se mit à écrire des romans, des nouvelles, des ouvrages pourLire la suite… et Wœstyne, musique de M. VarneyVarney, AlphonseAlphonse Varney (Paris, 1er novembre 1811 – Paris, 7 février 1879), chef d’orchestre. Il fut chef d’orchestre à Gand de 1835 à 1837. Il fut attaché à différents théâtres et fut engagé comme compositeur et chef d’orchestre par Alexandre Dumas père au Théâtre-Historique de 1848 à 1Lire la suite….


Le libretto de cet opéra n’a pas le sens commun ; il n’est ni gai ni sentimental, ni du genre comique ni du genre triste ; il ne fait ni rire ni pleurer, et ce n’est guère qu’à la fin du second acte qu’on commence à comprendre le premier. Nous sommes fâché d’avoir à dire si vertement notre façon de penser à M. DeslysDeslys, CharlesCharles Collinet dit Deslys (Paris, 1er mars 1821 – Paris, 13 mars 1885), acteur, chanteur, écrivain, librettiste. Il se produisit sur les scènes des théâtres du Midi, et particulièrement à Toulouse. Il retourna à Paris en 1846 et se mit à écrire des romans, des nouvelles, des ouvrages pourLire la suite…, qui est un littérateur distingué auquel on doit de charmantes nouvelles et de fort jolis poëmes ; quant à M. Wœstyne, comme c’est là sa première œuvre au théâtre, nous l’engageons à prendre bien vite une revanche qui lui fasse pardonner un si malheureux début. Les auteurs ont voulu écrire un plaidoyer contre la mésalliance. Sir Francis, jeune seigneur écossais qui porte assez gauchement son plaid et sa toque, s’est pris d’une belle passion pour miss Suzanna, la fermière de Kilmoor, il a renoncé pour elle à la main de sa cousine Edith, et comme miss Suzanna ne veut pas déroger en épousant un simple baron, l’amoureux n’hésite pas à se faire fermier pour plaire à sa fiancée ; il bat le beurre, met le blé en grange, et s’aperçoit bientôt que les rudes travaux des champs ne vont pas à ses mains délicates ; il regrette d’avoir laissé la claymore pour prendre la fourche, et ne paraît pas séduit le moins du monde par les qualités de bonne ménagère de Suzanna, qui passe son temps à éplucher des légumes et à faire des gâteaux de maïs ; la fermière lui était apparue à travers un prisme plus poétique ; il devient rêveur, il se souvient d’Édith, et ce pauvre Francis battrait volontiers en retraite s’il n’avait engagé sa parole de gentilhomme qu’il épousera Suzanna. Heureusement que celle-ci a pénétré le secret de la mélancolie du baron ; elle le délie de son serment et refuse d’accepter la couronne d’oranger et le nœud de fiançailles qu’il lui présente. Puis comme elle apprend par l’indiscrétion de maître Turnick, une sorte de bouffon, de laquais ou de garde-chasse, que le fermier Bob soupire en secret pour elle et qu’il s’est tenu à l’écart par pur dévouement, elle lui sait gré d’une abnégation si chevaleresque et l’épouse à l’instant même. Betsy, l’amie de Suzanna se réjouit fort de ce changement de main ; elle n’aimait pas plus les grands airs du seigneur Francis que sa maladresse aristocratique. On entend au loin la cloche de la chapelle, et la toile tombe avant l’arrivée du notaire.

Il n’y a là que des situations dépourvues de vérité et d’intérêt ; tous ces personnages se meuvent, entrent et sortent sans qu’on sache ni comment ni pourquoi ; ils parlent un français assez correct, mais ils ont l’air de se tenir sur leurs gardes afin de ne laisser échapper ni un mot spirituel ni une bêtise ; aucun rôle n’est plus saillant que l’autre, et M. Francis aurait épousé mademoiselle Suzanna que nous n’y eussions certes rien trouvé à redire.

Heureux le musicien qui peut voir arriver l’inspiration en travaillant sur un pareil poëme ! M. VarneyVarney, AlphonseAlphonse Varney (Paris, 1er novembre 1811 – Paris, 7 février 1879), chef d’orchestre. Il fut chef d’orchestre à Gand de 1835 à 1837. Il fut attaché à différents théâtres et fut engagé comme compositeur et chef d’orchestre par Alexandre Dumas père au Théâtre-Historique de 1848 à 1Lire la suite… n’en est pas, du reste, à son coup d’essai ; il a fait déjà le Moulin joliMoulin joli, LeLe Moulin joli, opéra-comique en un acte sur un livret de Clairville, pseudonyme de Louis-François-Marie Nicolaïe, mis en musique par Alphonse Varney et créé au Théâtre de la Gaité le 18 septembre 1849.Lire la suite… qui a été joué au théâtre de la Gaîté, lequel se donnait de temps en temps autrefois des façons de théâtre lyrique. C’est aussi à M. VarneyVarney, AlphonseAlphonse Varney (Paris, 1er novembre 1811 – Paris, 7 février 1879), chef d’orchestre. Il fut chef d’orchestre à Gand de 1835 à 1837. Il fut attaché à différents théâtres et fut engagé comme compositeur et chef d’orchestre par Alexandre Dumas père au Théâtre-Historique de 1848 à 1Lire la suite… que l’on doit le Chant des GirondinsChant des Girondins, LeLe Chant des Girondins, paroles d’Alexandre Dumas père et musique d’Alphonse Varney. Comme Chœur des Girondins, il se trouvait dans la pièce de théâtre que l’écrivain avait tirée de son roman Le Chevalier de Maison-Rouge. La pièce fut créée au Théâtre-Historique le 4 août 1847, aLire la suite… que bien des gens ont attribué, paroles et musique, à M. Alexandre DumasDumas père, AlexandreAlexandre Dumas père (Villers-Cotterêts, 24 juillet 1802 – Puys, près de Dieppe, 5 décembre 1870), écrivain. Un des plus populaires écrivains de l’époque romantique, il écrivit avec des collaborateurs plus de trois cents ouvrages dont les drames, Henri III et sa cour, et La Tour de NesleLire la suite… le père. Ajoutons encore à la louange de M. VarneyVarney, AlphonseAlphonse Varney (Paris, 1er novembre 1811 – Paris, 7 février 1879), chef d’orchestre. Il fut chef d’orchestre à Gand de 1835 à 1837. Il fut attaché à différents théâtres et fut engagé comme compositeur et chef d’orchestre par Alexandre Dumas père au Théâtre-Historique de 1848 à 1Lire la suite… qu’il a dirigé l’année dernière avec une habileté et un zèle dont nous l’avons félicité bien souvent, ce même orchestre qui vient d’exécuter la partition de son ancien chef avec une irrévérence si déplorable ; les cors, les hautbois et les clarinettes étaient à un demi-ton de différence, et les chanterelles des violons semblaient grincer entre les doigts inexpérimentés de novices sans oreille. Vraiment M. PlacetPlacet, Auguste FrancisAuguste-Francis Placet (Paris, 14 octobre 1816 – Paris, 10 décembre 1888), chef d’orchestre. D’abord assistant chef d’orchestre au Théâtre-Lyrique, il en devint le chef d’orchestre en 1852 quand Alphonse Varney démissionna. Il sera remplacé à son tour par son assistant, Louis-Michel-AdLire la suite… aurait pu se montrer plus soigneux du succès de son collègue.

L’ouverture de la Ferme de KilmoorFerme de Killmoor, LaLa Ferme de Killmoor,  opéra-comique en deux actes sur un livret de Charles Deslys et Eugène Woestyn mis en musique par Alphonse Varney et créé au Théâtre-Lyrique le 27 octobre 1852.Lire la suite… est une simple introduction dans laquelle le hautbois chante une mélodie en ré mineur d’un caractère assez rustique : cette mélodie est reprise ensuite fortissimo par toutes les masses de l’orchestre y compris les trois trombones qui doublent le chant fait par les premiers violons. Déplorable erreur, que partage aussi M. VarneyVarney, AlphonseAlphonse Varney (Paris, 1er novembre 1811 – Paris, 7 février 1879), chef d’orchestre. Il fut chef d’orchestre à Gand de 1835 à 1837. Il fut attaché à différents théâtres et fut engagé comme compositeur et chef d’orchestre par Alexandre Dumas père au Théâtre-Historique de 1848 à 1Lire la suite…, de croire que le bruit c’est de la sonorité et que la sonorité ainsi entendue nous fait éprouver autre chose qu’une sensation assourdissante et désagréable ! GrétryGrétry, André-Ernest-ModesteAndré-Ernest-Modeste Grétry (Liège, 11 février 1741 – Montmorency, 24 septembre 1813), compositeur. Il apprit la musique à la maîtrise de la collégiale de Saint-Denis de Liège et reçut des leçons d’harmonie de Renkin et de composition de Moreau. Une bourse de la fondation Darchis lui perLire la suite… se plaint dans une de ses lettres des tendances exagérées de quelques-uns de ses contemporains à abuser des instruments de cuivre et de ceux à percussion : pauvre GrétryGrétry, André-Ernest-ModesteAndré-Ernest-Modeste Grétry (Liège, 11 février 1741 – Montmorency, 24 septembre 1813), compositeur. Il apprit la musique à la maîtrise de la collégiale de Saint-Denis de Liège et reçut des leçons d’harmonie de Renkin et de composition de Moreau. Une bourse de la fondation Darchis lui perLire la suite…, s’il était encore de ce monde et qu’il lui eût pris la fantaisie d’aller entendre l’autre jour le Requiem de M. BerliozBerlioz, Louis-HectorLouis-Hector Berlioz (La Côte Saint-André, 11 décembre 1803 – Paris, 8 mars 1869), compositeur. Il étudia au Conservatoire de Paris avec Lesueur et obtint le 1er Prix de Rome en 1830. La même année, il composa sa Symphonie fantastique. De retour de Rome, il composa Lelio ou le Retour à la vLire la suite…, exécuté par six cents musiciens dans l’église de Saint-Eustache, assurément il n’en serait pas revenu. Enfin, M. VarneyVarney, AlphonseAlphonse Varney (Paris, 1er novembre 1811 – Paris, 7 février 1879), chef d’orchestre. Il fut chef d’orchestre à Gand de 1835 à 1837. Il fut attaché à différents théâtres et fut engagé comme compositeur et chef d’orchestre par Alexandre Dumas père au Théâtre-Historique de 1848 à 1Lire la suite… aime les trombones et il s’en sert volontiers ; c’est tout naturel.

La romance de Suzanna est accompagnée par un fort joli dessin de violoncelle et quelques pizzicati de violon d’un assez bon effet ; quant à la mélodie, elle n’a rien de bien remarquable. Bob et Betsy chantent ensuite un duo qui a le défaut d’être presque écrit d’un bout à l’autre dans le même mouvement ; les couplets de Betsy sont assez guillerets et l’air de Turnick qui veut

Vivre comme un moine,

Vêtu d’or et de velours.

a une allure de bonhomie prétentieuse assez amusante.

Sir Francis chante une ballade écossaise dont le refrain est répété par miss Suzanna ; puis les deux voix s’unissent et les trombones recommencent avec une fureur toujours croissante. Le sextuor sans accompagnement est un des meilleurs morceaux de l’ouvrage ; la strette est bien mouvementée et traitée tout à fait à l’italienne, ce qui n’est ni une qualité ni un défaut.

La première scène du deuxième acte est fort belle. La mélodie chantée par Bob et accompagnée par le chœur a beaucoup d’ampleur et de franchise ; elle a été bissée. Nous louerons également le trio entre Francis, Betsy et Suzanna et l’air de Betsy écrit sur un rhythme ternaire. La romance chantée par Suzanna est très-langoureuse ; on voit que la jeune fille a le cœur gros ; des trémolos de violons expriment l’agitation de son âme ; dans le duo suivant entre Bob et Suzanna on retrouve le motif de l’ouverture sur lequel vient se détacher le son d’une cloche, la cloche de la chapelle sans doute. Il y a dans la scène finale des passages assez dramatiques et d’agréables détails dans l’orchestre. En somme cette œuvre est celle d’un musicien de talent, et la valeur de la musique fera passer sur la médiocrité du poëme.