FEUILLETON DU JOURNAL DES DÉBATS
DU 16 JANVIER 1873.
REVUE MUSICALE.
Théâtre de l’Opéra : La Coupe du roi de ThuléCoupe du roi de Thulé, LaLa Coupe du roi de Thulé, opéra en trois actes sur un livret de Louis Gallet et Edouard Blau mis en musique par Eugene Diaz et créé à l’Opéra le 10 janvier 1873.Lire la suite…, opéra en trois actes et quatre tableaux, de MM. Louis GalletGallet, LouisLouis Gallet (Valence, 4 février 1835 – Paris, 16 octobre 1898), écrivain, auteur dramatique et librettiste. Il publia un recueil de vers, Gioventù (1857), sous le pseudonyme L. Marcelly. Il gagna ensuite Paris où, de 1857 à 1867, il travailla d’abord dans une imprimerie puis dans l’adminLire la suite… et Edouard Blau, musique de M. Eugène Diaz.
Un premier concours, institué en 1864 par le directeur du Théâtre-Lyrique, produisit la Fiancée d’Abydos ;Fiancée d’Abydos, LaLa Fiancée d’Abydos, opéra en quatre actes sur un livret de Jules Adenis mis en musique par Adrien Barthe et créé au Théâtre-Lyrique de Paris le 20 décembre 1865.Lire la suite… trois ans après, les directeurs de l’Opéra et de l’Opéra-Comique, stimulés par le zèle de M. Camille Doucet, alors directeur des théâtres au ministère des beaux-arts, promirent d’imiter le bel exemple que M. CarvalhoCarvalho, LéonLéon Cavaille, dit Carvalho (Port-Louis/ Île Maurice, 18 janvier 1825 – Paris, 29 décembre 1897), baryton et directeur.Après de bonnes études de chant au Conservatoire de Paris, il débuta le 2 Juin 1849 dans Scapin de Gilles ravisseur (Grisar) à l’Opéra-comique et tint plusieurs rôlesLire la suite… leur avait donné. Nos trois directeurs se réunirent donc dans le cabinet de M. Camille Doucet, où furent appelés en même temps, à titre de conseillers, plusieurs auteurs et compositeurs dramatiques. J’étais parmi ces derniers. « Aimez qu’on vous conseille et surtout qu’on vous loue. » Je louai donc la pensée philanthropique de MM. les directeurs, mais je trouvai si peu pratique l’idée d’un concours qui impose le même poëme à des musiciens doués d’aptitudes diverses, que je n’hésitai pas à dire que le mieux était d’y renoncer. Mon conseil, appuyé par M. GevaërtGevaërt, François-AugusteFrançois-Auguste Gevaërt (Huysse près d’Oudenaarde/ Belgique, 31 juillet 1828 – Bruxelles, 24 décembre 1908), compositeur et musicologue. Il étudia d’abord avec l’organiste J.-B. Christiaens. Très doué il entra à l’âge de 13 ans au conservatoire de Gand où il étudia le piano aveLire la suite…, sembla d’abord être pris en considération ; mais, en fin de compte, il ne prévalut point. M. de Saint-GeorgesSaint-Georges, Jules-Henri Vernoy deJules-Henri Vernoy de Saint-Georges (Paris, 7 novembre 1799 – Paris, 23 décembre 1875), auteur dramatique, librettiste. Il écrivit d’abord un roman puis il se tourna vers la scène et écrivit plusieurs comédies, drames et vaudevilles et produisit pendant cinquante ans des livrets d’opéras eLire la suite… avait tiré de ses cartons le poëme du FlorentinFlorentin, LeLe Florentin, opéra-comique en trois actes sur un livret de Henry de Saint-Georges mis en musique par Charles Lenepveu et créé à l’Opéra-Comique de Paris le 25 février 1874.Lire la suite… et le tenait suspendu sur la tête des concurrens désireux de suivre la bannière de l’Opéra-Comique ; l’Opéra allait mettre au concours un poëme d’opéra en trois actes, trois petits actes destinés sans doute à être joués avec un ballet ; le Théâtre-Lyrique seul, et celui-là du moins agissait plus libéralement, laissait aux compositeurs prêts à entrer dans la lice une entière latitude pour le choix du livret. Mais ne pouvait-on là aussi se heurter à un écueil, voir une partition remarquable associée à un poëme médiocre, et vice versa ?
Néanmoins toutes les objections ayant été victorieusement combattues, les organes officiels donnèrent bientôt la nouvelle qu’un concours était ouvert par chacun des directeurs de nos trois scènes lyriques. Et les poëtes se mirent à l’œuvre avec une activité qui n’eût peut-être pas suffi à calmer l’impatience des musiciens, si cinquante-trois d’entre eux, alléchés par la grande notoriété de M. de Saint-GeorgesSaint-Georges, Jules-Henri Vernoy deJules-Henri Vernoy de Saint-Georges (Paris, 7 novembre 1799 – Paris, 23 décembre 1875), auteur dramatique, librettiste. Il écrivit d’abord un roman puis il se tourna vers la scène et écrivit plusieurs comédies, drames et vaudevilles et produisit pendant cinquante ans des livrets d’opéras eLire la suite…, n’eussent tout d’abord jeté leur dévolu sur le poëme du Florentin.Florentin, LeLe Florentin, opéra-comique en trois actes sur un livret de Henry de Saint-Georges mis en musique par Charles Lenepveu et créé à l’Opéra-Comique de Paris le 25 février 1874.Lire la suite… Ce fut M. LenepveuLenepveu, Charles-FerdinandCharles-Ferdinand Lenepveu (Rouen, 4 octobre 1840 – Paris, 16 août 1910), compositeur et professeur. Il fit ses études classiques à Rouen et apprit l’harmonie avec Charles Vervoitte, alors maître de chapelle de la cathédrale de Rouen. En 1859, il entra à l’École de droit de Paris et devLire la suite…, prix de Rome de 1866, qui triompha.
Le Théâtre-Lyrique couronna à la fois le livret et la partition du MagnifiqueMagnifique, LeLe Magnifique, opéra-comique en un acte sur un livret de Jules Barbier mis en musique par Jules Philipot et créé à L’Opéra National Lyrique de Paris le 24 mai 1876. L’œuvre fut composée pour le concours lancé par le Théâtre-Lyrique de Paris pour lequel il y eut 43 participants. Elle reLire la suite…, par M. Jules BarbierBarbier, Paul-JulesPaul-Jules Barbier (Paris, 8 mars 1825 – Paris, 16 janvier 1901), librettiste. Il débuta à la Comédie-Française à l’âge de dix-huit ans avec un intermède : L’Ombre de Molière et un drame : Un Poète. De 1849 à 1872 ,il écrivit en collaboration avec Michel Carré des drames, des comédiLire la suite… et M. Philipot Philipot, JulesJules Philipot (Paris, 24 janvier 1824 – Paris, 17 mars 1897), pianiste, compositeur et professeur. Il étudia au Conservatoire de Paris, où il obtint un 1er prix de piano en 1844. Il se consacra à l’enseignement et composa de nombreuses œuvres pour piano dont plusieurs Études de style, ÉtuLire la suite…; enfin, à l’Opéra, malgré le voisinage de compétiteurs redoutables, dont quelques uns avaient fait leurs preuves déjà, M. Eugène Diaz obtint la palme. C’est surtout par M. GuiraudGuiraud, ErnestErnest Guiraud (Nouvelle-Orléans/USA, 23 juin 1837 – Paris, 6 mai 1892), compositeur. Il étudia avec son père Jean-Baptiste Guiraud qui avait été 1er prix de Rome en 1827. Il composa à quinze ans son premier opéra, Le Roi David (La Nouvelle-Orléans, 1852) qui fut représenté avec succès. ILire la suite…, M. MassenetMassenet, Jules-Emile-FrédéricJules-Émile-Fréderic Massenet (Maontaud/Loire, 12 mai 1842 – Paris, 13 août 1912), compositeur. Il étudia au Conservatoire de Paris, où il obtint un 1er prix de piano en 1859 puis un 1er prix de contrepoint et fugue ainsi que le 1er Prix de Rome en 1863. à Rome, Liszt lui confia une élève,Lire la suite… et M. BartheBarthe, Grat-Norbert dit AdrienGrat-Norbert Barthe dit Adrien Barthe (Bayonne, 7 juin 1828 – Asnières-sur-Seine, 13 aout 1898), compositeur. Il étudia au Conservatoire de Paris et obtint le 1er Prix de Rome en 1854. Son oratorio, Judith, composé lors de son séjour à Rome, reçu le Prix Edouard Rodrigues. Il épousa Mlle BanLire la suite…, l’auteur de la Fiancée d’AbydosFiancée d’Abydos, LaLa Fiancée d’Abydos, opéra en quatre actes sur un livret de Jules Adenis mis en musique par Adrien Barthe et créé au Théâtre-Lyrique de Paris le 20 décembre 1865.Lire la suite…, que cette palme lui fut vivement disputée. On accueillit bien avec un peu de surprise la décision du jury, mais il fallut s’incliner devant elle, sauf à voir plus tard comment l’opinion publique ratifierait cette décision.
Je n’ai pas besoin de dire que sans les terribles événemens qui survinrent et qui arrêtèrent les répétitions de la Coupe du roi de ThuléCoupe du roi de Thulé, LaLa Coupe du roi de Thulé, opéra en trois actes sur un livret de Louis Gallet et Edouard Blau mis en musique par Eugene Diaz et créé à l’Opéra le 10 janvier 1873.Lire la suite…, nous aurions su plus tôt à quoi nous en tenir sur le mérite de cette partition. Donc, puisqu’il fallait attendre que le calme reparût, les poëtes, MM. GalletGallet, LouisLouis Gallet (Valence, 4 février 1835 – Paris, 16 octobre 1898), écrivain, auteur dramatique et librettiste. Il publia un recueil de vers, Gioventù (1857), sous le pseudonyme L. Marcelly. Il gagna ensuite Paris où, de 1857 à 1867, il travailla d’abord dans une imprimerie puis dans l’adminLire la suite… et Edouard Blau, et le jeune compositeur, M. Eugène Diaz, eurent tout le loisir nécessaire pour retoucher leur œuvre, la polir et la repolir, et même la développer considérablement. M. FaureFaure, Jean-BaptisteJean-Baptiste Faure (Moulins, 15 janvier 1830 – Paris, 9 novembre 1914), baryton. Elève de Ponchard au Conservatoire de Paris, il obtint les 1er Prix de chant et d’opéra-comique à l’unanimité en 1852 et débuta en octobre à l’Opéra-Comique dans le rôle de Pygmalion (Massé). A l’Op�Lire la suite… ayant accepté un rôle dans la Coupe du roi de ThuléCoupe du roi de Thulé, LaLa Coupe du roi de Thulé, opéra en trois actes sur un livret de Louis Gallet et Edouard Blau mis en musique par Eugene Diaz et créé à l’Opéra le 10 janvier 1873.Lire la suite…, il était de toute nécessité que ce rôle prît une importance proportionnée au talent de l’artiste, et comme d’un lever de rideau on voulait faire un opéra à grand spectacle, il était tout aussi nécessaire d’ajouter un peu de musique au divertissement.
Dans un de mes derniers articles je donnais à entendre, sans rien préciser, que des modifications avaient été apportées à la première édition de la Coupe du roi de Thulé.Coupe du roi de Thulé, LaLa Coupe du roi de Thulé, opéra en trois actes sur un livret de Louis Gallet et Edouard Blau mis en musique par Eugene Diaz et créé à l’Opéra le 10 janvier 1873.Lire la suite… On se rendra compte de ces modifications en comparant l’un à l’autre les deux poëmes publiés à quelques années d’intervalle.
L’opinion que j’avais exprimée sur les concours et sur les résultats qu’on en pouvait attendre ne m’avait pas permis d’accepter de faire partie d’aucun jury. C’est donc avec la conscience tranquille que j’ai assisté à la première représentation de la Coupe du roi de ThuléCoupe du roi de Thulé, LaLa Coupe du roi de Thulé, opéra en trois actes sur un livret de Louis Gallet et Edouard Blau mis en musique par Eugene Diaz et créé à l’Opéra le 10 janvier 1873.Lire la suite…, et j’en puis parler dans la plus entière liberté de plume et d’esprit.
La Coupe du roi de ThuléCoupe du roi de Thulé, LaLa Coupe du roi de Thulé, opéra en trois actes sur un livret de Louis Gallet et Edouard Blau mis en musique par Eugene Diaz et créé à l’Opéra le 10 janvier 1873.Lire la suite… est la première œuvre nouvelle que l’on donne à l’Opéra depuis HamletHamletHamlet, opéra en cinq actes sur un livret de Michel Carré et Jules Barbier mis en musique par Ambroise Thomas et créé à l’Opéra de Paris le 9 mars 1868.Lire la suite…, j’allais dire depuis Erostrate.ErostrateErostrate, opéra en deux actes sur un livret de Joseph Méri et Emilien Pacini mis en musique par Ernest Reyer et créé au Théâtre de Bade le 21 août 1862 et à l’Opéra de Paris le 16 octobre 1871.Lire la suite… Vous voyez que le public n’est pas bien exigeant, puisqu’on a pu pendant cinq ans, à l’aide de quelques reprises et d’insignifians débuts, tromper ses plus légitimes désirs. Il y a eu, je le sais, la période de désolation et la période de deuil ; mais, grâce à Dieu, nous en sommes sortis ; et quand vint le jour où un vote de la Chambre rendit à l’Opéra la part qu’il était habitué à recevoir dans les libéralités du budget, on put croire, sinon à la régénération de l’art, du moins au rajeunissement du répertoire, à la rentrée de nos grands artistes infidèles et au retour de ces belles soirées dont nous avions gardé le souvenir.
L’Opéra reprit HamletHamletHamlet, opéra en cinq actes sur un livret de Michel Carré et Jules Barbier mis en musique par Ambroise Thomas et créé à l’Opéra de Paris le 9 mars 1868.Lire la suite…, il reprit la JuiveJuive, LaLa Juive, opéra en cinq actes sur un livret d’Eugène Scribe mis en musique par Fromental Halévy et créé à l’Opéra de Paris le 23 février 1835.Lire la suite…, et au début du ténor SylvaSylva, EloiEloi Sylva (Gramont/Belgique, 29 novembre 1843 – Berlin, 7 septembre 1919), ténor. Il étudia avec Joseph Cornélis au Conservatoire de Bruxelles, dont il sortit diplômé en 1866. Il étudia ensuite à Paris avec Gilbert Duprez et fit ses débuts dans le Stabat Mater de Rossini le 5 avril 1868 �Lire la suite… succéda le début du ténor PrunetPrunetPrunet ( ? – ?), ténor. Le Ménestrel du 17 novembre 1872 nous apprend que ce ténor, originaire de Toulouse, avait entre huit et neuf ans de pratique en province lorsqu’il fut engagé, en 1872, à l’Opéra de Paris. Il avait en effet été engagé par le Théâtre de la Monnaie à Bruxelles Lire la suite….
L’engagement pris par M. Emile PerrinPerrin, EmileÉmile Perrin (Rouen, 8 janvier 1814 – Paris, 8 octobre 1885), directeur. Il étudia la peinture avec le baron Antoine-Jean Gros et Paul Delaroche et exposa au Salon régulièrement de 1841 à 1848 tout en écrivant des critiques d’art dans les journaux. Le 1er Mai 1848 il succéda à Alexandre Lire la suite… de jouer la Coupe du roi de ThuléCoupe du roi de Thulé, LaLa Coupe du roi de Thulé, opéra en trois actes sur un livret de Louis Gallet et Edouard Blau mis en musique par Eugene Diaz et créé à l’Opéra le 10 janvier 1873.Lire la suite… ne l’eût pas dispensé de donner la même année un grand ouvrage en cinq actes ; mais par une singulière lacune qui existe dans le nouveau cahier des charges, la même obligation n’a pas été imposée à son successeur, et voilà pourquoi la Coupe du roi de Thulé Coupe du roi de Thulé, LaLa Coupe du roi de Thulé, opéra en trois actes sur un livret de Louis Gallet et Edouard Blau mis en musique par Eugene Diaz et créé à l’Opéra le 10 janvier 1873.Lire la suite…ayant été représentée cette année, nous n’avons aucun droit d’exiger plus.
Mais pour l’an prochain on nous promet Jeanne d’ArcJeanne d’ArcJeanne d’Arc, opéra en quatre actes sur un livret et une musique d’Auguste Mermet, créé à l’Opéra de Paris le 5 avril 1876. Ce fut la première création produite dans le nouvel opéra de Charles Garnier.Lire la suite…, Jeanne d’Arc sans le bûcher et avec des voix célestes.
Le poëme de la Coupe du roi de Thulé Coupe du roi de Thulé, LaLa Coupe du roi de Thulé, opéra en trois actes sur un livret de Louis Gallet et Edouard Blau mis en musique par Eugene Diaz et créé à l’Opéra le 10 janvier 1873.Lire la suite…n’est peut-être pas du goût de tout le monde. Et il est bien évident, d’ailleurs, qu’en écrivant une œuvre dans laquelle il y a plus de poésie que d’intérêt dramatique, les auteurs n’ont pas eu l’intention de flatter le goût du public. Il faut dire cela à leur louange, ou du moins leur en savoir gré. Les conditions d’un petit ouvrage en trois actes ne sont pas les mêmes que celles d’un grand opéra ; la passion n’a pas besoin d’y être poussée à son paroxysme et ce n’est vraiment pas la faute de nos deux poëtes si, forcés d’élargir le cadre de leur tableau, ils en ont quelque peu altéré la couleur, le sentiment et les détails délicats.
La ballade du FaustFaustFaust, tragédie en vers en Allemand de Johann Wolfgang von Goethe. Composée de 4620 vers en 25 scènes précédées par une dédicace, un prélude et un prologue. L’œuvre fut publiée en 1808 ; Goethe en publia une version révisée en 1829. Gerard de Nerval la traduisit en 1828. C’est la veLire la suite… de Gœthe, popularisée par l’opéra de M. GounodGounod, CharlesCharles Gounod (Paris, 17 juin 1818 – Saint-Cloud, 18 octobre 1893) compositeur. Gounod étudia le piano avec sa mère et la composition et l’harmonie en privé avec Reicha tout en faisant d’excellentes études classiques au Lycée Saint-Louis à Paris. Après avoir obtenu son baccalauréat, il Lire la suite…, bien qu’elle n’y soit reproduite que très sensiblement modifiée, a fourni aux auteurs du poëme l’idée de leur pièce, et du même coup ils ont trouvé une idée ingénieuse et un excellent titre.
Le roi de Thulé va mourir :
Messeigneurs, comment va le roi ?
LE CHOEUR.
On dit la nouvelle mauvaise.
DANIEL.
Je m’en doutais en mon effroi.
…………………………………………………………….
On dit qu’il meurt de l’amour d’une femme,
Et le Ciel le punit ainsi.
Le peuple prie, Angus et Myrrha espèrent ; les courtisans s’inclinent devant la fatalité. Myrrha était la maîtresse de ce roi dont Angus était le favori. Et le roi de Thulé meurt de l’amour de Myrrha et de la trahison d’Angus.
Alors s’avance au milieu du peuple et des courtisans, le bouffon Paddock, qui a assisté à la scène précédente le sourire aux lèvres, et nonchalamment étendu sur les marches de l’escalier conduisant à la chambre du roi. Paddock est un bouffon doublé d’un philosophe, un fou plein de sagesse. Il sait manier l’ironie et lancer l’apologue avec une rare habileté.
Bien prié, messeigneurs ! Très bien gémi, mesdames !
Le spectacle est touchant. Qui donc a prétendu
Que les courtisans n’ont pas d’âmes ?
Qu’il vienne en ce palais, il sera confondu.
Paddock est resté fidèle à son maître et, au moment de rendre l’âme, le roi le mande auprès de lui.
Bizarre caprice
D’un maître imprudent !
Se peut-il qu’il choisisse
Un bouffon pour confident ?
Le roi mort, on voit reparaître Paddock tenant en main la coupe que le maître de Thulé a léguée au plus digne de lui succéder. Ecoutez maintenant l’apologue :
Quand mourut le lion farouche,
De vieillesse moins que d’ennui,
Il fit, de sa funèbre couche,
Mander le singe auprès de lui.
« Ami, dit-il, prends ma couronne ;
Je veux… c’est ma dernière loi,
Que ton choix souverain la donne
A qui doit régner après moi. »
L’ambition donna la fièvre
Aux plus vils comme aux plus méchans ;
Soudain l’audace vint au lièvre
Et le loup prit des airs touchans.
L’âne, de son savoir immense
Vanta la haute utilité ;
Le tigre prêcha la clémence
Et le renard la loyauté !
Jadis insulté par les cuistres,
Jadis rudoyé par les forts,
Le singe vit peuple et ministres
Lui rendre hommage ! — Mais alors,
Pour se venger et sur la place
Les voir tous s’entre-déchirant,
Le singe, avec une grimace,
Jeta la couronne au torrent.
Je ne suis pas de l’avis d’Angus qui trouve ce conte ennuyeux, et c’est pourquoi je l’ai cité tout entier.
Et, au dernier vers de la chanson, la coupe, présent de Claribel la blonde, s’en retourne chez la blonde Claribel. Ce qui veut dire que Paddock a jeté la coupe à la mer.
Myrrha, voyant ainsi lui échapper le pouvoir qu’elle rêvait de partager avec Angus, promet son amour à qui lui rapportera le précieux talisman.
Alors sort de la foule le pêcheur Yorick. Il aime Myrrha et s’élance dans les flots sans que Paddock ait pu le détourner de sa périlleuse entreprise.
Myrrha, la brise est forte
Et le flot écumant ;
Si la mer me rapporte,
Garde-moi ton serment.
A l’aide de sa dague, Paddock s’ouvre un passage à travers les courtisans ameutés contre lui, et la toile tombe.
Nous entrons, à l’acte suivant, en pleine féerie. Le théâtre représente un vaste aquarium : c’est le palais humide de la sirène Claribel.
On avait beaucoup vanté ce décor, on l’avait même trop vanté. Présenté d’abord aux yeux du public sous un voile de gaze qui en adoucit les tons criards, il a considérablement perdu de son effet vaporeux et magique lorsque le voile a été levé. Les jeunes ondines qui font cortège à la reine des eaux agitent des guirlandes de perles et balancent autour d’elle des branches de corail et des rameaux d’algues vertes. Nous avons déjà vu quelque chose d’analogue dans d’autres divertissemens qui nous ont diverti plus que celui-là. Il n’y a d’ailleurs rien de particulièrement aquatique dans l’aspect et dans le costume de ces filles de la mer. Cela n’est ni chair ni poisson.
La reine soupire :
Un rêve est dans son cœur, à la fois doux et sombre.
Le rêve de Claribel, c’est l’amour d’Yorick.
Les nymphes, qui d’abord s’étaient éloignées par respect pour la douleur de la reine, reviennent ensuite, rapportant la coupe enchantée :
Ah ! c’est la coupe d’or qu’autrefois j’ai donnée
Au maître de Thulé ! Malheur donc à celui
Dont la main coupable aujourd’hui
L’a dans les flots abandonnée !
Tout à coup apparaît, se débattant dans l’onde
Un homme barbouillé d’algues et de varech ;
C’est le pêcheur Yorick, dont la perruque blonde
N’a pas un poil qui ne soit sec.
Je livre ces quatre vers à celui qui parodiera la Coupe du roi de Thulé.Coupe du roi de Thulé, LaLa Coupe du roi de Thulé, opéra en trois actes sur un livret de Louis Gallet et Edouard Blau mis en musique par Eugene Diaz et créé à l’Opéra le 10 janvier 1873.Lire la suite…
La reine ordonne à ses demoiselles d’honneur de voler au secours du jeune imprudent, dont les forces s’épuisent, et commande aux flots de s’apaiser :
Viens où le sort te pousse,
Mon bien-aimé,
Et livre à ma voix douce
Ton cœur charmé.
On s’expliquerait difficilement l’amour de Claribel pour ce jeune pêcheur un peu trop gras et coiffé d’une énorme perruque de chanvre, si l’on ne savait que le cœur des déesses est plus insondable encore que celui des simples mortelles.
Ni les tendres aveux de la reine, ni les séductions des nymphes qui obéissent à sa voix ne peuvent rien sur le cœur d’Yorick, troublé par le souvenir de Myrrha. Alors Claribel a recours à un moyen suprême. « Sur un signe d’elle, le fond du théâtre s’entr’ouvre et laisse voir à l’horizon le palais de Thulé vaguement éclairé par la lune. » Puis une barque glisse sur les flots, portant Angus et Myrrha étroitement enlacés et chantant aux étoiles leur chanson d’amour.
Quand la vision a disparu, Yorick, qui a senti sa passion s’accroître à la vue de l’infidélité de Myrrha (et c’est toujours ainsi que cela arrive), Yorick supplie Claribel de lui rendre le précieux talisman et la liberté.
Si mon illusion s’envole
Après ce réveil douloureux.
Je viendrai, pleurant mon idole,
Chercher l’oubli dans tes flots bleus.
Va donc, lui dit Claribel :
Quand tu seras désenchanté de vivre,
Ou désireux de te venger,
Quand la chimère qui t’enivre
Aura brisé ton cœur comme un roseau léger,
Bois par trois fois dans la coupe enchantée
En m’invoquant trois fois dans ton dernier appel ;
Tu verras, — oubliant comment tu l’as quittée, —
Venir à ta voix Claribel !
Nous retrouvons au troisième acte le bouffon Paddock en proie à la douleur que lui cause la disparition du pêcheur Yorick. Cet ami fidèle ne s’y prend-il pas un peu tard pour nous chanter sa complainte ? Jadis, cette sorte de cavatine que Berlioz appelait très plaisamment « la cavatine de onze heures », était réservée à la première chanteuse. Mais les temps sont bien changés, et les bonnes traditions se perdent chaque jour.
Le peuple assemblé sur la place publique demande un roi. Et parmi les seigneurs qui briguent l’honneur de porter la couronne, c’est à qui se déclarera le plus digne de faire le bonheur du peuple. Angus, qui ne s’imaginait pas avoir tant de rivaux, semble craindre que le pouvoir ne lui échappe ; et la perplexité de Myrrha augmente à mesure que les chances de son amant diminuent.
Alors une voix chante au loin qui fait tressaillir Myrrha ; c’est la voix de Yorick ;
Nymphes, la brise est forte
Et le flot écumant,
Quand la mer me rapporte,
Garde-moi ton serment.
Myrrha accepte avec joie la coupe qu’Yorick a déposée à ses pieds et l’offre à Angus. L’innocent ! dit Paddock, il croyait sa victoire certaine ! Il doutait de la trahison ! Paddock excite son ami à la vengeance, et la coupe ayant passé, « selon l’antique usage », aux lèvres de chaque seigneur, Yorick réclame l’honneur d’y boire à son tour. Et tandis qu’il invoque Claribel pour la troisième fois, la coupe se brise dans sa main. Au milieu de la tempête qui se déchaîne, au milieu des éclairs et du bruit de la foudre, Myrrha et Angus sont frappés à mort ; le palais s’écroule et le peuple pousse des cris d’épouvante jusqu’à ce que tout s’apaise à l’apparition de Claribel. Yorick tend les bras vers la sirène et chante ce couplet final :
Maîtresse immortelle,
Dans ton palais bleu
Reçois pour jamais ton amant fidèle.
Terre ingrate, adieu !
Paddock ne se consolerait pas d’avoir perdu son ami si la sirène, prenant en pitié sa tristesse, ne lui prédisait qu’il deviendra bientôt roi de Danemark, et qu’il sera aimé d’Ophélie.
Certainement ce n’est pas là une œuvre dramatique faite dans les conditions auxquelles le public est habitué ; mais c’est une œuvre charmante, une œuvre poétique et qui justifie parfaitement la préférence dont elle a été l’objet de la part du jury. La première version valait sans doute mieux que la seconde ; mais il ne faut pas rendre responsables les auteurs, ainsi que je l’ai dit déjà, des changemens et des longueurs qui leur ont été imposés.
Quant à la partition, elle n’est pas tout à fait sans mérite, et j’ai remarqué au premier acte une certaine originalité mélodique, de jolis dessins dans les accompagnemens et beaucoup de sobriété et d’élégance dans l’instrumentation. Mais quand le compositeur a voulu manier et fondre ensemble les grandes masses de l’orchestre et des voix ; quand il a voulu rendre ces grands effets qui sont, pour ainsi dire, le propre caractère d’une œuvre dramatique, j’avoue qu’il a montré une inexpérience à laquelle bien des gens ne s’attendaient pas. Le chœur final du deuxième acte est charmant ; il y a de la poésie et de la couleur dans ce chant des naïades qui vous berce comme le souffle d’une brise parfumée. Mais je ne trouve rien à citer au troisième acte : ni la monotone et filandreuse cavatine de Paddock, ni la tempête dont les acteurs sont si épouvantés, et qui a produit si peu d’effet sur l’auditoire. Après tout, il ne faut pas être sévère pour un jeune homme que l’on a grisé un peu trop peut-être par des éloges anticipés. M. Eugène Diaz a fait comme Yorick : il a voulu boire à la coupe du succès, et ses mains inhabiles ont laissé tomber la coupe.
La belle voix de Mme GueymardDeligne-Lauters, PaulinePauline Deligne-Lauters (Bruxelles, 1er décembre 1834 – Paris, 10 mai 1918), mezzo-soprano. Elle étudia au Conservatoire de Bruxelles et fut engagée au Théâtre-Lyrique de Paris en 1854. Elle y créa Le Billet de Marguerite (Gevaert, 1854), se produisit ensuite dans la version de Castil-Blaze dLire la suite… s’est perdue dans le vide ; Mlle Rosine BlochBloch, RosineRosalie Bloch dite Rosine Bloch (Paris, 7 novembre 1844 – Monaco, 1er février 1891), contralto. Elle étudia au Conservatoire de Paris, où elle obtint un 1er prix de chant et d’opéra en 1865. Engagée aussitôt à l’Opéra de Paris, elle débuta avec succès dans le rôle d’Azucéna du TrLire la suite… et M. Léon AchardAchard, LeonLeon Achard (Lyon, 16 février 1831 – Paris, juillet 1905), ténor. Il débute au Théâtre-Lyrique de Paris qu’il quitte à la mort de son père en 1856. Il se produit à l’Opéra de Lyon de 1857 à 1862. De 1862 à 1870 il est à l’Opéra-Comique puis va en tournée en France et en Belgique Lire la suite… auront plus d’une occasion de prendre leur revanche, et nous les retrouverons bientôt avec des perruques moins luxuriantes dans des rôles meilleurs. Quant à M. FaureFaure, Jean-BaptisteJean-Baptiste Faure (Moulins, 15 janvier 1830 – Paris, 9 novembre 1914), baryton. Elève de Ponchard au Conservatoire de Paris, il obtint les 1er Prix de chant et d’opéra-comique à l’unanimité en 1852 et débuta en octobre à l’Opéra-Comique dans le rôle de Pygmalion (Massé). A l’Op�Lire la suite…, il a déployé toutes les ressources de son talent pour sauver une œuvre à laquelle il portait un intérêt tout particulier. Certes quand un artiste sert aussi merveilleusement, bien qu’avec un très mince résultat, la fortune d’un jeune musicien, il est pour celui-ci plus qu’un interprète, il est un véritable collaborateur.
On dit que M. Eugène Diaz est élève de M. Victor MasséMassé, Felix-Marie-VictorFélix Marie Victor Massé (Lorient, 7 mars 1822 – Paris, 5 juillet 1884), compositeur. Il étudia le piano avec Zimmerman et la composition avec Halévy au Conservatoire de Paris, où obtint le 1er Prix de piano en 1839 et le 1er Prix de Rome en 1844. Il débute à l’Opéra-Comique en 1850 avec LLire la suite…. C’est assurément une recommandation excellente. Mais être l’élève d’un bon maître n’est pas toujours un brevet de capacité. Et nous nous permettons de donner à M. Eugène Diaz le sage conseil de se consacrer sérieusement, désormais, à l’étude d’un art qui a encore bien des secrets à lui révéler.
E. Reyer.
Personnes discutées
Personnes citées
Oeuvres discutées
Oeuvres citées
Notes d'édition
En 1867, les directeurs, de l’Opéra, de l’Opéra-Comique et du Théâtre-Lyrique sont respectivement : Emile Perrin, Adolphe de Leuven et Leon Carvalho.
Citation de L’Art poétique de Nicolas Boileau, chant I, où il écrit : « Aimez qu’on vous conseille, et non pas qu’on vous loue. »
Il s’agit de l’opéra Jeanne d’Arc d’Auguste Mermet.