FEUILLETON DU JOURNAL DES DÉBATS

DU 21 SEPTEMBRE 1873.

 L’ALSACE, — LES VOSGES.

Souvenirs rétrospectifs et notes de voyage.

 (Suite et fin. — Voir le Numéro d’hier)

 

Une particularité m’a frappé à Sainte – Odile comme au Hohwald : les Alsaciens affectent de ne parler que le français, et on n’y rencontre guère que des Alsaciens. J’ai fait la même remarque aux Trois-Epis (Drei Æhren), près de Colmar. C’est là qu’eut lieu après la guerre une scène vio­lente, suivie d’un duel, entre un Alsacien, resté Français, et un notable de Colmar qui venait d’accepter du service dans l’ad­ministration ou dans la magistrature prus­sienne. Le lendemain, on lisait, placardée dans la grande salle de l’auberge du sieur Petitdemange, une affiche par laquelle ce brave homme, soigneux de ses profits, in­vitait ses hôtes à la paix et à la concorde qui conviennent aux habitans des verts paysages et des riantes solitudes. Un Prus­sien et sa femme, s’étant glissés parmi les pensionnaires habituels de Mme KuntzMeckert épouse Kuntz, DorothéeDorothée Meckert épouse Kuntz (Heiligenstein/Bas-Rhin, 23 novembre 1815 – Hohwald/Bas-Rhin, 26 juin 1895), hôtelière. Elle épousa Jean Kuntz (Cosswiller, 4 avril 1815 – Barr, 15 août 1850), garde-forestier, à Hohwald le 4 avril 1843. Ils eurent un fils Jean-Hippolyte Kuntz (Hohwald, 15 ocLire la suite…, ont été reconnus et ont dû déguerpir. Un jour, à table, le vide se fit autour d’eux. Ils quit­tèrent le chalet le même soir. Des enfans (cet âge est sans pitié) s’étaient même amusés à découper le chapeau du mari qu’ils avaient trouvé accroché dans le vestibule. Trois Autrichiens étaient au Hohwald en même temps que moi. On les reconnaît à leur accent d’abord et aussi à l’élégance de leurs manières. Ce n’est pas à eux qu’on applique et qu’on pourrait appliquer l’épithète de Schwob. J’écris le mot comme on le prononce en Alsace. Tout Prussien est un Schwob (corruption du sub­stantif Schwabe qui veut dire Souabe). Ja­dis, avant l’entente cordiale entre les deux peuples, les Allemands appelaient les Ita­liens des Welches, mais cette qualification n’avait certes rien d’aussi injurieux que celle de Schwob donnée par les Alsaciens à leurs nouveaux maîtres.

Je n’affirme pas que le peuple des cam­pagnes ait moins de patriotisme que le peuple des grandes villes ; mais comme dans les villages, à part deux ou trois petits fonctionnaires, un douanier et un gen­darme quelquefois, on ne voit pas de Prus­siens, la haine, tout en étant peut-être aussi violente, a moins d’occasions ou de prétextes de se manifester que dans les villes de garnison. Et pourtant, à part quelques actes très répréhensibles que l’au­torité allemande n’est pas toujours parve­nue à punir, les relations entre les soldats et le peuple ne semblent point être sur un pied d’hostilité bien féroce ; dans certaines localités, les bons patriotes gémissent même sur la faiblesse du sexe faible. Que voulez-vous ? c’est le prestige de l’uniforme qui fait oublier la couleur de la cocarde. Cependant il ne faudrait pas se fier aux apparences. Je sais bien que, dans telle grande ville d’Alsace où je me suis arrêté, la femme d’un hôtelier a fait tenir sur les fonts baptismaux son dernier né par un officier prussien, mais ailleurs j’ai rencon­tré un brave homme d’aubergiste qui, après avoir causé très amicalement avec un em­ployé supérieur de l’administration alle­mande, est venu à moi et m’a dit : « Mon­sieur, voilà une des pires nécessités que notre nouvelle situation nous impose. Mais je vous en prie, vous qui avez le bonheur d’être resté Français, ne vous mé­prenez pas sur mes sentimens à l’égard de cet homme : mon gendre est capitaine d’ar­tillerie dans l’armée française et je déteste les Prussiens plus peut-être qu’il ne les déteste lui-même, car ils ont pillé ma mai­son et assassiné un de mes serviteurs. » Et ayant dit ces paroles, cet homme se mit à pleurer.

La dernière fois que je suis allé à Stras­bourg, les zouaves et les turcos campaient au Polygone et s’apprêtaient à passer le Rhin, ce qui faisait que les âmes sensibles s’apitoyaient sur le sort de ces pauvres Badois ! Je n’y suis plus retourné depuis. J’aimais Strasbourg comme ma ville natale : la vue de tant de ruines m’eût fait saigner le cœur. Mais je viens de revoir Colmar et Mulhouse. A Colmar surtout, le contraste est frappant entre ce qu’était cette jo­lie ville, si heureusement située, et ce qu’elle est aujourd’hui. Les quartiers les plus riches semblent inhabités ; la place du Champ-de-Mars est déserte. Plus de joyeu­ses chansons, le soir, dans les brasseries ; plus de jolies promeneuses et de pittores­ques costumes le dimanche dans les jardins publics. Tout est morne, tout est silencieux, et si un groupe s’arrête devant la statue du général RappJean Rapp, comteJean, comte Rapp (Colmar, 27 avril 1771 – Rheinweiler/Bade-Wurtemberg, 8 novembre 1821), général et homme politique. Il est neveu du général Jean-Georges Edighoffen et cousin germain du général Jean-Jacques Kessel. Il interrompit ses études de théologie, n’ayant pas la vocation de deveniLire la suite…, ce sont des soldats prussiens qui plaisantent agréablement sur l’attitude, quelque peu excentrique du reste, que l’artiste a donnée au vainqueur d’Iéna et d’Essling.

A Mulhouse, les grandes industries qui y sont restées entretiennent un peu plus d’animation qu’à Colmar. Mais ces bandes d’ouvriers et d’ouvrières qui au coup de midi sortent des fabriques semblent avoir perdu cette bonne jovialité, ce rire franc et épanoui qui distinguaient le travailleur alsacien. Et presque tous parlent français. Interrogez en allemand ces filles de bras­serie, elles vous répondront en français, en français quelque peu équivoque sans doute, mais qui est l’affirmation d’une nationalité perdue et que l’on a l’espoir de reconquérir un jour.

Ma joie a été extrême quand j’ai revu en arrivant à Belfort les uniformes des em­ployés du chemin de fer français. J’en avais assez des casquettes rouges des chefs de gare, des tuniques vertes des gendarmes, de ces figures rougeaudes de fantassins, de ces grands sabres que messieurs les officiers traînent bruyamment sur le pavé des villes. Et à peine descendu de wagon, j’ai traversé le faubourg où une armée de maçons tra­vaille et j’ai couru à la forteresse. Du haut de la plate-forme où le drapeau trico­lore n’a pas encore été replacé, la vue est admirable. Au milieu de ces petites mai­sons à tuiles rouges étroitement serrées les unes contre les autres s’élève la cathédrale toute criblée de projectiles. La ville et le petit faubourg du Fourneau adossé à la forteresse ont peu souffert du bombardement ; mais que de dévastations ! que de décombres ! que de maisons effondrées ! que d’arbres mutilés dans le grand faubourg des Ancêtres ! Eh bien ! à Bel­fort tout le monde est heureux, tout le monde est content. « Ah ! Monsieur, me disait un brave homme que j’interrogeais sur les épisodes du siège, si vous saviez comme cela s’oublie depuis quelques jours que le clairon français sonne à nos oreilles ! »

Le mauvais temps m’a forcé de continuer mon voyage en chemin de fer de Bel­fort à Remiremont. Là, j’ai trouvé un ciel plus clément et j’ai pu reprendre mon bâ­ton et mon sac. Il y a deux routes, fort belles et fort agréables toutes les deux, pour aller de Remiremont à Gérardmer : la route de Rochesure, plus longue de 3 ki­lomètres, et celle du Tholy ; c’est cette der­nière que j’ai suivie. Le petit village de Tholy, bâti en escarpement sur le flanc de la montagne, tire toute son importance d’une grande fabrique de toile, dont les vastes bâlimens sont situés dans une verte prairie de l’autre côté du chemin. Le clo­cher du village fait face à la cheminée de l’usine.

Je suis arrivé à Gérardmer le soir : de légères vapeurs s’élevaient au-dessus du lac ; la lune brillait à travers les branches des noirs sapins, et au loin, dans chacune de ces nombreuses chaumières qui peu­plent les collines environnantes, apparais­sait la lueur vacillante de la lampe du tis­serand. A Gérardmer, tous ceux qui ne font pas des fromages font de la toile. Au mi­lieu de ce ravissant paysage, le tic-tac du métier a sa poésie, comme ailleurs le tic- tac du moulin.

Un de nos peintres célèbres, Mme Hen­riette BrowneBouteiller, Sophie de dite Henriette BrowneSophie de Bouteiller dite Henriette Browne (Paris, 16 juin 1829 – Paris, 14 mars 1901), peintre et graveur. Elle étudia la peinture à partir de 1851 avec Charles Chaplin et Emile Perrin. Elle exposa au Salon de 1853 à 1878 et reçut une médaille de 3e classe dans la section peinture en 1855. LLire la suite…, s’est fait bâtir, au bord du lac de Gérardmer et sur la lisière de la forêt, dans une situation des plus pittoresques, un joli petit chalet qui est un vrai bijou. Tout, dans cette élégante demeure, laisse voir la main d’une habile artiste, d’une femme distinguée et du goût le plus déli­cat. Les promeneurs ne manquent jamais de s’arrêter devant la barrière rustique qui en ferme l’entrée, et les quelques amis privilégiés qui en franchissent le seuil vous diront combien est affectueuse et cordiale l’hospitalité qu’on y reçoit.

Depuis l’annexion de l’Alsace et de la Lor­raine, beaucoup de voyageurs et de tou­ristes, qui ne veulent point passer la fron­tière, s’arrêtent à Gérardmer. Quand j’y suis arrivé, l’hôtel de la Poste était en­combré ; les succursales de l’hôtel étaient envahies et cent cinquante personnes mangeaient à la même table. Je n’aime pas cette vie en commun qui vous impose les conversations les plus insignifiantes et, supplice bien plus cruel, une sonate ou un air varié sur l’opérette en vogue quand le mauvais temps retient les voyageurs dans le salon de l’hôtel. Aux Trois-Epis on danse et on joue la comédie ; à Gérardmer, les soirées sont plus calmes, et ceux que ne captive pas le charme de la musique se couchent de bonne heure pour se préparer à l’excursion du lendemain.

Les deux buts de promenade les plus fréquentés sont : la Schlucht et le lac Blanc. On côtoie pour arriver à la Schlucht les lacs de Longemer et de Retournemer, et là, un sentier à travers bois, qu’on ap­pelle le chemin des Dames, vous conduit en moins d’une heure au chalet de M. Hart­mannHartmann-Metzger, André-FrédéricAndré-Frédéric Hartmann-Metzger (Colmar, 22 octobre 1772 – Munster/Haut-Rhin, 6 août 1861), industriel et homme politique. Il est le fils aîné de d’André Hartmann, fondateur des manufactures de textile Hartmann à Munster/Haut-Rhin. Il épousa en 1799 Marie-Cléophée-Elise Metzger (ColmaLire la suite…. Ce chalet, qui a été construit il y a quelques années pour recevoir la visite de l’empereur Napoléon III, est à cheval sur la ligne frontière qui sépare la France du territoire allemand.

On va de la Schlucht au lac Blanc en suivant la crête de la montagne, toute ta­pissée de chaumes ; les bornes kilométri­ques, de chaque côté desquelles sont gravés un F (France) et un D (Deutschland), vous indiquent le chemin. Si, un peu avant d’ar­river au lac Blanc, on se penche du côté du versant prussien, on aperçoit deux petits étangs qui vous font assez l’effet de cuvettes dans lesquelles on se serait débarbouillé après une nuit passée en chemin de fer. C’est le lac Vert et le lac Noir. Le lac Blanc est bien plus vaste, et, vu le soir, éclairé par les rayons de la lune, il est d’un aspect vraiment féerique. Comme on oublie vo­lontiers, assis au bord de cette eau tran­quille, le poteau blanc et bleu et l’inscrip­tion tudesque qui ont attristé nos regards au chalet de la Schlucht !

Les Alsaciens en villégiature aux Trois-Epis font assez ordinairement l’excursion du lac Blanc en passant par la Grande-Baroche ; pour ceux qui n’ont pas de carte routière et qui ne connaissent pas les che­mins, M. Petitdemange, propriétaire de l’hôtel des Trois-Epis, pousse l’obligeance jusqu’à leur tracer de sa main un plan in­dicatif avec lequel il n’y a pas moyen de s’égarer.

A peine revenu à Gérardmer, j’ai eu de la pluie, et il m’a fallu renoncer encore une fois au plaisir de continuer mon voyage à pied. Brouillard sur les hauteurs, pluie dans la plaine, la saison des voyages, a fini trop tôt cette année.

J’ai donc fait en diligence le trajet de Gérardmer à Laveline, où s’arrête l’em­branchement du chemin de fer qui part d’Epinal et arrivera bientôt, hélas ! jusqu’à l’entrée de la vallée de Granges.

Des drapeaux tricolores flottaient aux fenêtres de presque toutes les maisons d’Epinal, et sur quelques uns j’ai même lu des inscriptions qui aujourd’hui peuvent passer pour séditieuses : « Vive M. Thiers Thiers, AdolpheAdolphe Thiers (Marseille, 15 avril 1797 – Saint-Germain-en-Laye, 3 septembre 1877), avocat, journaliste, historien et chef d’Etat. Il fut journaliste anticlérical et patriote de l’opposition libérale. Dans les années 1820, il publia une Histoire de la Revolution Française en 10 volumes quLire la suite…! Vive la république ! »  Ah ! je ne conseille pas à ceux qui caressent des projets de restauration monarchique de s’en aller faire une tournée dans les départemens de l’Est !

D’Epinal à Nancy, la seule distraction est de contempler les figures curieuses et étonnées des villageois qui se pressent aux barrières de chaque station pour voir pas­ser avec le même intérêt les trains de mar­chandises et les trains de voyageurs.

Nancy, avec ses longues et larges rues qui se coupent à angle droit a toujours été une ville triste. J’y suis arrivé un dimanche : la musique militaire jouait dans le parc où il y avait foule autour des musiciens. Mais je m’attendais à plus de mouvement, à plus de manifestations joyeuses, et le soir, en remontant la rue Stanislas, je me de­mandais avec stupeur ce que devait être Nancy pendant l’occupation allemande.

J’écris ces mots au courant de la plume. Ce sont les impressions de voyage d’un touriste, et rien de plus. J’aime ces bons Alsaciens, j’ai voulu les revoir. Et si je vous ai dit qu’il y avait peut-être plus de patriotisme dans les villes que dans les villages, savez-vous à quoi cela tient ? c’est que dans les chaumières il est rentré de­puis la guerre, et même pendant la guerre, beaucoup de soldats qui se sont crus tra­his ; c’est que sur ces montagnes qui sont des forteresses naturelles, il n’y avait pas un canon ; c’est que, dans ces villages, il n’y avait pas un fusil. Ceux qui ne di­sent pas : On nous a trahis ! disent : On ne nous a pas défendus. Pas un soldat français pendant la guerre n’a traversé le Kanz ni le Donon et ne s’est montré dans la vallée de Schirmeck, ni dans aucun de ces étroits défilés où une poignée d’hommes aurait pu arrêter un régiment. Quelques francs-ti­reurs se promenaient sur les routes et ne faisaient pas grande besogne ; les gen­darmes eux-mêmes avaient perdu de leur prestige et s’étaient départis de leurs habi­tudes de vigilance. Vous allez en juger.

J’habitais, au début de la guerre, une ferme dans la montagne, tout près de Belmont. On vint me prévenir un jour que deux colporteurs à la mine suspecte étaient dans l’auberge du village, où ils devaient passer la nuit, l’un était un grand jeune homme dont la barbe était luisante, bien peignée et les ongles bien tenus ; il avait du linge blanc et des bottes fines. L’autre avait les cheveux bouclés, la barbe rousse et sentait le juif. Quand j’entrai dans l’au­berge, où un groupe de paysans les en­tourait, ils me demandèrent si je parlais l’allemand, me disant qu’on semblait se défier d’eux et me montrèrent leurs pa­piers. L’un s’appelait Meyer, l’autre avait un nom polonais. On les avait forcés de quitter Strasbourg où ils avaient laissé, disaient-ils, leurs femmes et leurs enfans. Je remarquai qu’en tant que colporteurs ils n’étaient guère habiles, car ils se trom­paient à chaque instant sur le prix de leurs marchandises, jarretières, pendelo­ques de cuivre, porte-monnaie, objets de mercerie, fleurs artificielles et autres articles de menue bimbeloterie. Je n’avais aucune qualité pour pousser plus loin mes investi­gations, et je me contentai d’exprimer quelques doutes sur leur identité au maire de l’endroit.

Le lendemain, le fils de l’aubergiste ar­rive chez moi tout effaré et me raconte que, lorsque les deux colporteurs furent enfer­més dans leur chambre, sa mère, ayant re­gardé par le trou de la serrure, les avait vus occupés à écrire, à tirer des lignes sur un papier de grande dimension ; que le plus jeune, avant de se mettre au lit, avait changé de linge, et que son compagnon, sans doute son domestique, lui avait apporté à boire sur une assiette ! à leur dîner ils s’étaient fait servir de la viande et des œufs frais, ce qui ne constituait pas un repas assez frugal pour des colporteurs qui n’a­vaient rien vendu. Cette idée que ces col­porteurs sont des espions me décide à les poursuivre. Ils étaient partis de très bonne heure et avaient de l’avance sur moi. Je m’étais fait accompagner d’un garçon de la ferme et nous ne les rejoignîmes que fort tard au village de Ranrupt : tandis qu’on les croyait couchés depuis long­temps déjà, ils veillaient. Dans plusieurs endroits où ils s’étaient arrêtés, nous apprî­mes qu’ils avaient questionné les habitans sur le chiffre de la population, sur les récoltes, sur les ressources du pays et que, si à Belmont ils prétendaient ne pas savoir un mot de français, ailleurs, ils par­laient notre langue parfaitement. Au maire de Bellefosse ils demandèrent s’il recevait quelque journal de Strasbourg ou de Nancy. Bref, on envoya chercher les gendarmes de Saales : à trois heures du matin ils arrivè­rent ; à six heures, nos deux colporteurs entrèrent dans la salle de l’auberge pour prendre leurs boîtes qu’ils y avaient lais­sées. En apercevant les tricornes et les baudriers blancs ils devinrent tout pâles. Les gendarmes les firent passer dans un cabinet, et, suivant notre recommandation, après les avoir interrogés, après avoir examiné leurs papiers, ils les fouillèrent. Mais la pudeur des bons gendarmes n’osa aller trop loin, c’est-à-dire là où les deux espions avaient sans doute caché leurs plans et leurs pa­piers secrets ; et après avoir retourné les poches de leurs vêtemens et exploré les tiges de leurs bottes, ils les laissèrent par­tir comme ils étaient venus. Plus tard j’ap­pris par un habitant du Ban-de-la-Roche que l’un de ces deux quidams, celui qui avait des ongles soignés et des bottes fines, occupait une haute fonction dans l’arron­dissement de Schlestadt.

On parle encore des faux colporteurs de Belmont au Ban-de-la-Roche, comme on parle des faux élèves de l’Ecole forestière de Nancy à Obernai, et des Kellner badois dans les auberges du val de Villé. Et l’on dit que ces bons Allemands, qui nous haïs­sent encore plus depuis qu’ils nous ont battus, qu’ils ne nous haïssaient avant de nous battre, ont été bien plus forts et sur­tout bien plus fins que nous.