FEUILLETON DU JOURNAL DES DÉBATS
DU 20 SEPTEMBRE 1873.
L’ALSACE, — LES VOSGES.
Souvenirs rétrospectif s et notes de voyage.
Nous avons perdu l’Alsace et une partie de la Lorraine, mais on ne peut dire que les Prussiens aient conquis ni l’une ni l’autre de ces belles provinces. Ils sont les maîtres du pays, voilà tout. Depuis deux ans ils n’ont fait aucun progrès dans le cœur des habitans, et, sauf quelques défections que l’ambition ou la nécessité de vivre a amenées, la grande majorité des Alsaciens et des Lorrains est restée française et ne pactise point avec le vainqueur. Cette sorte d’ostracisme dont les Allemands sont frappés chez eux blesse leur orgueil et est tellement insupportable à quelques uns que, parmi les fonctionnaires envoyés dans les provinces annexées, on en cite plusieurs qui, renonçant à des avantages sérieux sous le rapport du traitement, ont déjà repassé le Rhin. Mais tous n’ont pas suivi le même chemin, et il est tel percepteur de Colmar, tel receveur de Villé, par exemple, qui, laissant la caisse vide, a été obligé de se mettre le plus possible à l’abri des recherches indiscrètes du gouvernement prussien. A Colmar, le déficit, m’a-t-on dit, est de 75,000 fr. : une bagatelle pour un gouvernement auquel nous venons de payer 5 milliards. A Villé, le fonctionnaire infidèle était arrivé dans un état de délabrement complet ; la garde-robe de Mme la receveuse tenait fort à l’aise dans un sac de nuit sur lequel une main amie avait brodé en laine azurée la fleur du souvenir. Ce fut une entrée piteuse et pitoyable que celle de ce couple dans la petite ville ou, plus exactement, dans le grand village de Villé. Peu à peu l’aisance, puis la prospérité entrèrent dans le ménage : Monsieur avait fait venir de Berlin des bottes à haute tige et un uniforme superbe ; Madame ne sortait plus qu’en robe de soie et accompagnée d’une suivante. Un beau jour on apprit que M. le receveur et son épouse avaient disparu en sauvant la caisse. Cela confirmerait assez ce qui m’a été dit, que la plupart des fonctionnaires que l’on envoie dans les provinces annexées laissent beaucoup à désirer sous le rapport des antécédens et de la moralité : le percepteur de Colmar était un ancien cordonnier.
Un certain nombre d’Alsaciens qui étaient dans la gendarmerie sont restés gendarmes : ce sont les plus sévères quand il s’agit de constater un délit et d’amener le délinquant devant la justice ; plusieurs bas employés des chemins de fer de l’Est ont passé au service de l’administration prussienne et n’aiment pas à être reconnus ; d’autres se sont fait confirmer dans leurs emplois d’instituteurs, de gardes forestiers et de facteurs ruraux. L’inspecteur que je rencontrai l’année dernière faisant sa tournée des écoles du Ban-de-la-Roche est un ancien professeur à l’Ecole Normale protestante de Strasbourg. L’instituteur de Fouday (actuellement Urbach) est un Ban-de-la-Rochois, du village de Sollbach, et un enragé Prussien. Certes, je suis loin de suspecter le patriotisme des habitans du Ban-de-la-Roche, dont chaque chaumière conserve le souvenir et l’image du pasteur OberlinOberlin, Jean-FrédéricJean-Frédéric Oberlin (Strasbourg, 31 août 1740 – Waldersbach/Bas-Rhin, 1er juin 1826), pasteur protestant alsacien, piétiste et apôtre du progrès social. Il étudia la théologie à l’université de Strasbourg et obtint le grade de maître es arts en 1763. Il fut précepteur pendant troisLire la suite… ; mais la plupart des paysans qui peuplent cette partie si pittoresque de la chaîne des Vosges sont protestans, et il en est parmi eux qui croient fermement (ils croient à bien autre chose encore) que les Prussiens les ont sauvés d’une nouvelle Saint-Barthélemy qu’était en train d’organiser contre eux, au moment de la guerre, le clergé catholique : les curés. Ils avouent pourtant que, à part la sécurité de leur culte, qui cependant n’était pas troublée sous la domination française, il[s] n’ont pas gagné grand’chose à devenir Prussiens : ils fument, à très bon marché c’est vrai, un tabac détestable, mais ils ne boivent plus de vin. Tout le vin d’Alsace s’en va en Prusse. Ces braves gens, qui ne comprennent pas un mot d’allemand, ne peuvent s’habituer à la bière, bien qu’on la leur livre à bas prix. Je les avais connus insoucians et gais, aimant à rire et aimant à boire, se réunissant volontiers dans la grande salle de l’auberge le dimanche, les filles et les garçons dansant, les vieux vidant leur chopine de petit vin blanc d’Andlau ; je les ai retrouvés tristes et préoccupés, ne riant plus, ne dansant plus ; les villages, si peuplés jadis, m’ont semblé déserts ; le bruit des métiers de rubans, une industrie qui les aidait à vivre, trouble à peine le silence de la vallée : les grands filateurs sont partis. Par exemple, ces braves habitans du Ban-de-la-Roche n’ont rien perdu de leurs supertitieuses croyances. Ils croient aux sorciers et aux revenans. Ils ne mangeront pas du pain pétri par cette vieille fille qui, dans sa rage de ne pas avoir trouvé un mari, s’est faite sorcière et a des accointances avec le diable ; si un tel est malade, c’est que son ennemi, son débiteur quelquefois, lui a jeté un sort. Une jeune et jolie fermière m’a affirmé sur l’honneur qu’elle avait vu dans l’étable de sa ferme la bête noire et velue qui venait tourmenter son père et lui donner des espèces de crises épileptiques. La bête noire et velue n’était autre qu’un baril d’eau-de-vie de prunes (en patois qwetche) auquel le bonhomme buvait à même quand il se croyait seul.
Au-dessus du vieux château du Ban-de-la-Roche, dont il reste à peine quelques pierres aujourd’hui, s’étend un assez vaste plateau où est située la ferme de Haut-les-Champs. C’est un endroit mal famé dans le pays et où, passé une certaine heure, les plus courageux et les plus sceptiques hésiteraient à s’aventurer : les esprits s’y promènent la nuit. Et n’allez pas vous aviser d’expliquer par quelque phénomène de physique élémentaire l’apparition de feux follets autour de la ferme de Haut-les- Champs. On vous rirait au nez.
L’époque où sera mise en vigueur la loi du recrutement verra bien des désertions dans ces montagnes où les fugitifs ne se laisseront pas prendre facilement ; les anciens soldats sont revenus : ils ont bien crié à la trahison, mais ils aiment encore, et malgré tout, le pays qu’ils ont servi. Et cela redouble l’aversion des jeunes pour le casque à pointe, le paratonnerre. Plusieurs ont déjà essayé de s’engager dans l’armée française : ils étaient mineurs, on n’en a pas voulu. Et puis on a fait croire aux parens que la loi prussienne les atteindrait eux-mêmes, soit par une forte amende (1,000 thalers), soit par la confiscation de leurs biens, si leurs enfans réussissaient à se soustraire à la conscription. Ce qu’il y a de vrai, c’est que le jeune homme qui quitte son village et sa ferme sans avoir satisfait à la loi du recrutement ne peut y revenir avant l’âge de trente ans. Je doute que l’armée prussienne recrute jamais en Alsace, pas plus qu’en Lorraine, un contingent de bons et braves soldats sur lesquels, le cas échéant, elle puisse compter. On traite cependant les conscrits des provinces annexées avec des égards tout particuliers, surtout ceux qui ne comprennent pas l’allemand, et il y en a un assez bon nombre ; les lois sévères de la discipline prussienne ne leur sont appliquées que pour de graves infractions. Si ces conscrits se plaignent de quelque chose, c’est d’être mal nourris. Et Dieu sait cependant si chez eux ils mangent des merles ! Des pommes de terre, des choux et du lait caillé, voilà en toutes saisons la nourriture habituelle du paysan vosgien. Quand on parcourt ces montagnes qui pendant les hivers rigoureux sont recouvertes de cinq ou six pieds de neige, et quand on cause avec les habitans, on entend partout le même langage : le sol les nourrit à peine ; leur condition est misérable ; il n’y a de bonheur que pour les émigrans, pour les gens des villes ou pour ceux auxquels le gouvernement confie une position. Ce qu’ils rêvent pour leurs enfans, c’est un diplôme d’instituteur, une maison forestière sur la lisière de la forêt, ou une place de … valet de chambre. J’ai logé chez un fermier qui avait deux de ses enfans à l’Ecole Normale de Strasbourg ; depuis, tous les deux sont devenus instituteurs ; le troisième travaille dans une fabrique, le quatrième est boulanger à Colmar ; le plus jeune, seul, est encore à la ferme, et aide son père dans les travaux des champs. Mais qu’il eût bien vite fait de prendre son sac si j’avais voulu l’emmener à Paris ! Le père et la mère sont vieux ; quand ils mourront, la famille sera depuis longtemps dispersée, et la ferme sera vendue. Et ne croyez pas que l’exemple que je vous cite soit une exception, ne croyez pas non plus que ce soit la guerre qui ait fait tout le mal. Il y a longtemps, on le sait, que dans nos campagnes l’agriculture manque de bras, et que les grands centres attirent les paysans de la plaine et de la montagne. Hélas ! tous n’y font pas fortune ; mais ils y restent tout de même et leur village ne les revoit plus. Les Prussiens ont su du moins retenir ceux qui sont capables d’exercer des fonctions de maîtres d’école, de gardes forestiers ou de facteurs ruraux. Et par un moyen bien simple : ils ont doublé leur traitement. L’instituteur du moindre petit village du Ban-de-la-Roche a 900 fr. par an. Cette partie des Vosges, si pittoresque, si boisée, si bien cultivée et si française, a failli nous être conservée. On m’a montré, au sommet du Champ-du-Feu, la première ligne de démarcation de notre nouvelle frontière. Mais les exigences stratégiques ont amené la modification du plan primitif, et le protestantisme bien connu des habitans y a quelque peu contribué. Quelques lieues de territoire de plus ou de moins, ce n’était vraiment pas grand’chose pour un ennemi qui nous enlevait deux de nos plus belles provinces. Et de l’autre côté du Kanz, la petite ville de Senones, qui jadis faisait partie de la principauté de Salm, l’a échappé belle ! C’est à quelques kilomètres de Senones que se trouvent la douane et le premier poteau prussien. Pendant la guerre, M. S…, l’un des propriétaires de la grande filature de Senones, installée dans les bâtimens dépendant de l’ancienne abbaye, fut accusé par les Prussiens d’être le chef d’une compagnie de francs-tireurs et failli être fusillé ; il fut gardé pendant vingt-quatre heures dans un café par un détachement de soldats dont l’ivresse eût certainement excusé, aux yeux de leur chef, un acte de maladresse ou la féroce fantaisie de quelque soudard impatient d’en finir avec un homme riche et qui avait d’excellent vin dans sa cave. M. S… fut relâché, faute de preuves convaincantes de sa culpabilité, mais on but son vin et on fit un emprunt forcé à sa caisse. Il ne croyait pas en être quitte à si bon marché. Aujourd’hui, M. S… s’occupe de l’inauguration du monument de dom CalmetCalmet, Antoine-AugustinAntoine-Augustin Calmet (Menil-la-Horgne/Lorraine, 26 février 1672 – Senones/Vosges, 25 octobre 1757), bénédictin et théologien. Il étudia d’abord au prieuré bénédictin de Breuil puis, à 15 ans, à l’université de Pont-à-Mousson. A la fin de ses études, il entra chez les bénédictLire la suite…, le savant bénédictin qui fut abbé mitré de Senones, le correspondant et l’ami de VoltaireVoltaire, François-MarieFrançois-Marie Arouet, dit Voltaire, (Paris, 21 novembre 1694 – Paris, 30 mai 1778), écrivain et philosophe. Chef de file du parti philosophique, il est le plus célèbre porte-parole de la philosophie des Lumières. Anticlérical mais déiste, il dénonça dans son Dictionnaire Philosophique leLire la suite…, auquel il donna l’hospitalité de sa magnifique abbaye et la clef de sa riche bibliothèque. C’est le sculpteur FalguièresFalguière, Jean-Alexandre-JosephJean-Alexandre-Joseph Falguière (Toulouse, 7 septembre 1831 – Paris, 19 avril 1900), sculpteur. Fils d’un ébéniste, il étudia la sculpture dans la classe de Bernard Griffoul-Dorval à l’école des beaux-arts et des sciences industrielles de Toulouse puis travailla à Paris d’abord dans lLire la suite… qui est l’auteur de la statue de dom CalmetCalmet, Antoine-AugustinAntoine-Augustin Calmet (Menil-la-Horgne/Lorraine, 26 février 1672 – Senones/Vosges, 25 octobre 1757), bénédictin et théologien. Il étudia d’abord au prieuré bénédictin de Breuil puis, à 15 ans, à l’université de Pont-à-Mousson. A la fin de ses études, il entra chez les bénédictLire la suite….
Le coup d’œil est superbe quand on descend le versant prussien du Kanz et qu’on a devant soi les villages de Saint-Blaise, de Bellefosse et de Fouday, ce dernier situé à l’entrée de la vallée de Schirmeck. La route de Fouday à Waldbach ou Waldersbach, ancienne résidence du pasteur OberlinOberlin, Jean-FrédéricJean-Frédéric Oberlin (Strasbourg, 31 août 1740 – Waldersbach/Bas-Rhin, 1er juin 1826), pasteur protestant alsacien, piétiste et apôtre du progrès social. Il étudia la théologie à l’université de Strasbourg et obtint le grade de maître es arts en 1763. Il fut précepteur pendant troisLire la suite…, se bifurque au haut du village : un embranchement conduit à Belmont et va jusqu’au Champ-du-Feu ; l’autre traverse la forêt de Chirgoutte et, passant par Breitenbach, va rejoindre la route de Villé. Cet embranchement n’est point encore terminé.
Au début de la guerre, c’était une grande distraction pour les habitans de Fouday que d’aller voir passer, le pistolet au poing, les dragons badois envoyés en estafettes pour surveiller la route de Rothau à Saint- Blaise. La plupart de ces cavaliers ne paraissaient pas très rassurés et chevauchaient dans la crainte de francs-tireurs imaginaires ; d’autres, au contraire, se montraient plus disposés à lier conversation avec les gens du pays et acceptaient volontiers des cigares et du vin. L’un de ceux-là, voyant briller une belle chaîne d’or sur la poitrine de M. L…, riche filateur établi à Fouday, s’avance résolûment vers lui et lui demande l’heure qu’il est.
M. L… tire sa montre, une montre superbe. « Ah ! la belle montre, dit aussitôt le soldat en avançant la main pour la prendre. Donnez-la moi, Monsieur. » Et très certainement il l’aurait prise si M. L…, qui a longtemps habité Berlin, n’eût eu la présence d’esprit de lui dire en allemand : « Je vous la donnerais bien volontiers, mon ami, mais cette montre est un souvenir qui m’a été offert par le général comte de X…, aide de camp de S. M. le roi Guillaume. » Le cavalier piqua des deux et n’en demanda pas davantage.
Les habitans du Ban-de-la-Roche n’ont eu nullement à souffrir de l’invasion, bien qu’un soldat badois ait été tué par un paysan aux environs de Saint-Blaise. Et ils sont convaincus que c’est par respect pour la mémoire de leur vénéré pasteur, papa OberlinOberlin, Jean-FrédéricJean-Frédéric Oberlin (Strasbourg, 31 août 1740 – Waldersbach/Bas-Rhin, 1er juin 1826), pasteur protestant alsacien, piétiste et apôtre du progrès social. Il étudia la théologie à l’université de Strasbourg et obtint le grade de maître es arts en 1763. Il fut précepteur pendant troisLire la suite…, que le roi de Prusse a étendu sa protection sur les villages du Ban-de-la-Roche.
Le maire d’un de ces villages, chez qui j’ai dîné un dimanche, riche paysan trois ou quatre fois médaillé aux concours agricoles du département, m’a demandé (il y a une quinzaine de jours) si nous étions toujours contens en France de M. Thiers Thiers, AdolpheAdolphe Thiers (Marseille, 15 avril 1797 – Saint-Germain-en-Laye, 3 septembre 1877), avocat, journaliste, historien et chef d’Etat. Il fut journaliste anticlérical et patriote de l’opposition libérale. Dans les années 1820, il publia une Histoire de la Revolution Française en 10 volumes quLire la suite…! Et cela n’a rien de bien extraordinaire : les journaux allemands ne sont pas lus, au Ban-de-la-Roche, parce qu’on ne les comprend pas, et les journaux français n’y arrivent que par ricochet, de loin en loin. Et puis, quel changement dans la façon de vivre de ces bonnes gens ! Ils vivent isolés, se défient les uns des autres, et en vous disant plus haut qu’ils ne chantent plus, qu’ils ne boivent plus, qu’ils ne dansent plus, j’aurais pu ajouter qu’ils ne parlent plus guère.
Si les villages protestans du Ban-de-la-Roche ont été épargnés, il n’en est pas de même des villages catholiques du val de Villé, à l’entrée desquels se dressent de grands crucifix.
J’ai vu, en allant de Villé à Schlestadt, le magnifique château de M. de CastexCastex, Théodore, vicomte deThéodore de Castex, vicomte (Strasbourg, 3 mars 1828 – Paris, 3 août 1898), maire. Il fut chambellan de Napoléon III et maire de Thanvillé/Bas-Rhin. Il épousa en premières noces le 19 août 1831 à Blotzheim/Haut-Rhin Marie-Louise-Joséphine de Salomon (1830-1863) dont il eut un fils BertranLire la suite…, qui fut saccagé et pillé par les Badois. Aujourd’hui, toute trace de dommage a disparu : le gouvernement prussien s’est montré généreux envers l’ancien chambellan de l’empereur, auquel il a accordé, m’a-t-on dit, mais je ne garantis pas ce chiffre, une indemnité de 80,000 thalers, soit 300,000 fr. Cet excès de générosité fait gémir et jaser les pauvres gens, qui prétendent, à tort ou à raison, que les indemnités qu’on leur a accordées sont loin d’être en rapport avec les pertes qu’ils ont subies.
Je ferai, si vous le permettez, quelques pas en arrière pour vous parler de deux points de villégiature adoptés depuis assez longtemps par les Alsaciens, et que les événemens dont ils ont été victimes ne leur ont pas fait abandonner : c’est le couvent de Sainte-Odile et le chalet du Hohwald. Du haut de la terrasse de Sainte-Odile, la vue s’étend au loin sur cette magnifique plaine d’Alsace parsemée de jolis villages, traversée par le Rhin qui apparaît au loin comme un mince filet d’argent, et ayant pour dernière limite à l’horizon la Forêt-Noire et le duché de Bade. De l’autre côté, l’œil plonge dans un océan de sapins, au milieu desquels on voit serpenter les maisons en tuile rouge du long et étroit village de Klingenthal. Ces deux sites, si différens d’aspect, suffiraient à l’admiration du touriste s’il ne trouvait bien d’autres sujets d’intérêt et d’émotion dans les souvenirs qu’évoquent les vieux châteaux, les pierres druidiques et les vestiges de l’occupation romaine groupés tout autour du couvent. La fontaine de Sainte-Odile, qui a, je crois, la double vertu de guérir les maux d’yeux et de rendre les femmes fécondes, est un but de pèlerinage. Une fois les dévotions terminées, les pèlerins entrent se reposer au couvent, où ils trouvent bon repas et bon gîte. Mais avec le progrès de la civilisation et la conquête prussienne, les prix ont doublé. Et c’est d’une main ferme et exercée que la Frau Matter (la mère abbesse) fait sur une ardoise le compte de chaque journée, de chaque pèlerin. Il en est de même au chalet du Hohwald, situé au fond d’une haute vallée tout entourée de forêts, à 12 ou 15 kilomètres de la petite ville de Barr. Un délicieux chemin à travers bois conduit de Sainte-Odile au Hohwald, en passant par la Waldsbruch, et de même qu’on ne va guère au Hohwald sans monter à Sainte-Odile, on ne va guère à Sainte-Odile sans descendre au Hohwald. L’établissement dirigé par Mme KuntzMeckert épouse Kuntz, DorothéeDorothée Meckert épouse Kuntz (Heiligenstein/Bas-Rhin, 23 novembre 1815 – Hohwald/Bas-Rhin, 26 juin 1895), hôtelière. Elle épousa Jean Kuntz (Cosswiller, 4 avril 1815 – Barr, 15 août 1850), garde-forestier, à Hohwald le 4 avril 1843. Ils eurent un fils Jean-Hippolyte Kuntz (Hohwald, 15 ocLire la suite… a pris depuis quelques années les proportions d’un hôtel de premier ordre, et une vaste construction s’élève maintenant à côté du chalet rustique que la ville de Strasbourg donna à la veuve du garde forestier assassiné dans l’exercice de ses fonctions. J’ai vu, il y a trois ans un des assassins qui, sa peine expirée, rentrait dans ses foyers au Ban-de-la-Roche. Son fils, un jeune soldat, était venu l’attendre au passage dans une ferme que j’habitais. La reconnaissance entre le père et l’enfant fut une des scènes les plus touchantes auxquelles j’aie jamais assisté. On m’a appris cette année que l’ancien forçat était parti pour l’Amérique, et qu’on avait déjà de ses nouvelles : il est en prison à New-York pour tentative de meurtre sur son gendre.
(La suite à demain.)
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Oeuvres citées
Notes d'édition
Cet article et le suivant du 21 septembre 1873 seront repris dans le recueil Notes de Musique qu’Ernest Reyer publiera chez Charpentier et Cie, à Paris en 1875.
Il s’agit de Frédéric Sellière (Reims, 22 janvier 1839 – Évian-les-Bains, 25 août 1899).
Il s’agit sans doute d’un membre de la famille Legrand, peut-être Albert Legrand (Fouday, 6 août 1815 – Fouday, 15 septembre 1886).