La Revue et Gazette Musicale, 8 août 1858, p. 265-266 (article signé E. Reyer).

Sonate en mi bémol pour deux pianos.

Par M. THÉODORE RITTER.

Il me semble que depuis quelque temps on est moins injuste, moins irrévérencieux envers la sonate, cette bonne dame que nos pères tenaient en si haute estime, et à laquelle nous avons décoché tant d’épigrammes. Qu’elle se présente dans un salon ou dans une salle de concert, on ne l’accueille plus aujourd’hui avec ce sourire ironique qu’excitent les allures guindées, la raideur anguleuse et les oripeaux fanés de certaines douairières. Les jeunes gens eux-mêmes la saluent avec respect et veulent bien prêter une oreille attentive à la conversation discrète et mesurée de l’honnête personne. Elle a vécu dans l’intimité d’hommes illustres qui ont eu pour elle les plus grands égards, les plus sérieuses tendresses, et quand elle nous parle de MozartMozart, Wolfgang AmadeusWolfgang Amadeus Mozart (Salzbourg, 27 janvier 1756 – Vienne, 5 décembre 1791), compositeur. Enfant prodige. Son père développa ses dons pour le piano et la composition et l’exhiba dès l’âge de six ans dans des voyages à travers toute l’Europe. Ses premières compositions, des pièces Lire la suite…, de BeethovenBeethoven, Ludwig vanLudwig van Beethoven (Bonn, 16 décembre 1770 – Vienne, 26 mars 1827), compositeur. Enfant prodige qui donna son premier concert public à Bonn à huit ans. Il alla à Vienne et prit des leçons avec Haydn de 1792 à 1794 puis avec Albrechtsberger de 1794 à 1795 et avec Salieri vers 1799. Il compLire la suite…, de HummelHummel, Johann NepomukJohann Nepomuk Hummel (Pressbourg [Bratilava], 14 novembre 1778 – Weimar, 17 octobre 1837), pianiste et compositeur. Enfant prodige, il prit des leçons avec Mozart qui l’encouragea à se faire connaitre comme virtuose du piano. De 1788 à 1792, il fit une tournée de concerts avec son père en Lire la suite…, de DusseckDussek, Jan LadislavJan Ladislav Dussek (Caslav, 12 février 1760 – Saint-Germain-en-Laye, 20 mars 1812), pianiste et compositeur. Il étudia le violon et le piano, et donna son premier concert à Malines en 1779. Il se produisit en concerts en Hollande, où il acquit une grande réputation. En 1782, il se produisit Lire la suite… [Dussek]Dussek, Jan LadislavJan Ladislav Dussek (Caslav, 12 février 1760 – Saint-Germain-en-Laye, 20 mars 1812), pianiste et compositeur. Il étudia le violon et le piano, et donna son premier concert à Malines en 1779. Il se produisit en concerts en Hollande, où il acquit une grande réputation. En 1782, il se produisit Lire la suite…, de RiesRies, FerdinandFerdinand Ries (Bonn, 28 novembre 1784 – Francfort, 13 janvier 1838), pianiste et compositeur. Il étudia le piano et le violon avec son père, et le violoncelle avec Bernhard Romberg. En 1801, il se rendit à Vienne pour étudier le piano avec Beethoven et la composition avec Albrechtsberger. En Lire la suite…, de HaydnHaydn, Franz JosefFranz Josef Haydn (Rohrau/Basse Autriche, 31 mars 1732 – Vienne, 31 mai 1809), compositeur. Il étudia avec Johann Mathias Franck, chef de chœur de l’église de Hainburg et fut remarqué par Reutter, maître de chapelle du Stephansdom à Vienne, qu’il le recruta en 1739 ou 1740 comme choristeLire la suite…, de WeberWeber, Carl Maria vonCarl Maria von Weber (Eutin, 18 novembre 1786 – Londres, 5 juin 1826), compositeur. Il étudia avec son père, puis avec Johann Peter Heuschkel, organiste à Hildburghausen où sa famille s’était établie en 1796. L’année suivante, sa famille s’installa à Salzbourg où Weber étudia avec Lire la suite… et de ClementiClementi, MuzioMuzio Clementi (Rome, 23 janvier 1752 – Evesham/Worcester, 10 mars 1832), compositeur, pianiste et facteur de piano. Son précoce talent lui permit d’être nommé organiste à treize ans de l’église San Lorenzo in Damaseo à Rome, mais en 1667 il fut amené en Angleterre par Peter Beckford qui Lire la suite…, c’est bien le moins, je crois, que nous la laissions parler tout à son aise, sans prendre garde aux formes surannées de son langage ou aux nuances vieillottes de son accoutrement. Entrez donc, madame la sonate, et soyez la bienvenue. Avant d’analyser l’œuvre de M. Théodore RitterRitter, ThéodoreToussaint Prévost [Prévost-Ritter], dit Théodore Ritter (Nantes, 5 avril 1840 – Paris, 6 avril 1886), pianiste et compositeur. Il fut l’unique élève de Berlioz, qui lui confia la réduction pour piano de L’Enfance du Christ et de Romeo et Juliette. Il excellait dans l’interprétation deLire la suite…, disons quelques mots de l’auteur. Je l’ai connu enfant ; j’ai été témoin de ses débuts, de ses premiers succès et de ses progrès rapides. Je l’ai vu plus d’une fois mettre sa toupie dans sa poche et s’approcher gaiement de sa table de travail où l’attendaient des exercices d’harmonie et de contre-point, un sujet de fugue à développer ou une partition d’orchestre à réduire. Mme FarrencFarrenc, Jeanne-LouiseJeanne-Louise Farrenc, née Dumont (Paris, 31 mai 1804 – Paris 15 septembre 1875), compositeur et pianiste. Elle étudia le piano avec Anne-Élisabeth Soria, élève de Clémenti et la composition avec Antonin Reicha. Elle enseigna le piano au Conservatoire de Paris de 1842 jusqu’à sa retraite Lire la suite…, Xavier BoisselotBoisselot, XavierXavier Boisselot (Montpellier, 3 décembre 1811 – Montpellier, 28 mars 1893), compositeur et facteur de piano. Après ses premières études à Marseille, il entra en 1830 au Conservatoire de musique de Paris d’abord dans la classe de Fétis puis dans celle de Lesueur. Il obtient le 1er Prix de RoLire la suite…, Hector BerliozBerlioz, Louis-HectorLouis-Hector Berlioz (La Côte Saint-André, 11 décembre 1803 – Paris, 8 mars 1869), compositeur. Il étudia au Conservatoire de Paris avec Lesueur et obtint le 1er Prix de Rome en 1830. La même année, il composa sa Symphonie fantastique. De retour de Rome, il composa Lelio ou le Retour à la vLire la suite… et le savant M. Schneider de [von] Wartensee, à Francfort, ont été ses maîtres. Il n’a jamais mis le pied dans un conservatoire, il n’a jamais voulu concourir pour le grand prix de Rome, et cependant je doute qu’il y ait beaucoup de musiciens dont l’éducation ait été aussi soignée, aussi complète que celle du jeune RitterRitter, ThéodoreToussaint Prévost [Prévost-Ritter], dit Théodore Ritter (Nantes, 5 avril 1840 – Paris, 6 avril 1886), pianiste et compositeur. Il fut l’unique élève de Berlioz, qui lui confia la réduction pour piano de L’Enfance du Christ et de Romeo et Juliette. Il excellait dans l’interprétation deLire la suite….

Comme pianiste, on l’a entendu, on l’a jugé ; comme compositeur, bien qu’il ne soit pas encore à l’âge où l’on fait des chefs-d’œuvre, il a déjà donné la mesure de ce qu’il pourra faire un jour. Son talent précoce, sa brillante exécution, son habileté à déchiffrer à première vue la musique la plus difficile, lui ont valu de bonne heure les plus grands éloges. Il a pris ces éloges pour des encouragements, et il a bien fait ; sans cela, le grand artiste en herbe serait resté un petit prodige, et nous savons tous ce qu’ils deviennent ces petits prodiges, aussitôt qu’un poil de barbe leur a poussé au menton. Théodore RitterRitter, ThéodoreToussaint Prévost [Prévost-Ritter], dit Théodore Ritter (Nantes, 5 avril 1840 – Paris, 6 avril 1886), pianiste et compositeur. Il fut l’unique élève de Berlioz, qui lui confia la réduction pour piano de L’Enfance du Christ et de Romeo et Juliette. Il excellait dans l’interprétation deLire la suite…, guidé par de sages conseils, s’est tenu en garde contre le danger qui menaçait sa modestie ; il n’ignore pas que lorsqu’on a appris beaucoup, on a encore beaucoup à apprendre, et je suis bien sûr qu’il rirait au nez de l’ami maladroit qui lui parlerait de sa célébrité et le traiterait de maestroSonate pour 2 pianos mi bémol majeur Op. 16Sonate pour 2 pianos en mi bémol majeur Op. 16 de Theodore Ritter, publiée chez G. Brandus et G. Dufour, Paris, 1858.Lire la suite…, comme les mendiants italiens vous traitent d’excellence et de seigneurie. Ce ne sont pas les réclames qui vous rendent célèbre, ce sont les œuvres que l’on produit. La sonate que j’ai sous les yeux, et que l’auteur a gracieusement dédiée à Mme Amédée TardieuTardieu, Charlotte-ElisabethCharlotte-Élisabeth d’Arpentigny de Malleville, épouse Tardieu (Rouen, 1830 – Paris, 29 mai 1890), pianiste et pédagogue. En 1849, elle organisa en 1849 un cycle annuel de musique d’ensemble qu’elle poursuivra jusqu’en 1869. Onslow lui dédia son Septuor, op. 79, qu’elle créa en 185Lire la suite… (Charlotte de Malleville) est une œuvre et une œuvre très-importante. Ne fait pas qui veut une bonne sonate. Et la preuve, c’est que parmi nos compositeurs modernes, il en est fort peu qui se soient essayés dans ce genre ingrat et difficile.

Mme FarrencFarrenc, Jeanne-LouiseJeanne-Louise Farrenc, née Dumont (Paris, 31 mai 1804 – Paris 15 septembre 1875), compositeur et pianiste. Elle étudia le piano avec Anne-Élisabeth Soria, élève de Clémenti et la composition avec Antonin Reicha. Elle enseigna le piano au Conservatoire de Paris de 1842 jusqu’à sa retraite Lire la suite… a fait des sonates qui peuvent être comparées à celles des plus grands maîtres : la sonate de M. Théodore RitterRitter, ThéodoreToussaint Prévost [Prévost-Ritter], dit Théodore Ritter (Nantes, 5 avril 1840 – Paris, 6 avril 1886), pianiste et compositeur. Il fut l’unique élève de Berlioz, qui lui confia la réduction pour piano de L’Enfance du Christ et de Romeo et Juliette. Il excellait dans l’interprétation deLire la suite… est conçue dans un autre style ; le jeune auteur y montre par moments une entière indépendance à l’égard de certaines formules d’école, de certaines traditions que de moins hardis que lui eussent certainement respectées ; mais l’audace sied bien à la jeunesse, et les meilleurs modèles ne doivent pas être servilement imités.

Une courte introduction précède l’allegro, dont le thème principal a beaucoup de franchise et d’éclat. Cette manière de débuter annonce la verve du jeune compositeur, lequel prouvera tout à l’heure sa science par d’excellents contre-sujets, par des développements bien conduits et par la correction et l’élégance de son harmonie. Cet allegro est un morceau à effet : l’auteur n’y a ménagé ni les tremolo, ni les crescendo, ni les oppositions de nuances. Le scherzo qui suit est très-gracieux et très-original ; le motif sautille avec une légèreté charmante jusqu’à ce que, sans changer de rhythme, il prenne l’allure plus tranquille, le caractère plus doux, plus caressant qui convient au trio ; puis, ramené habilement et d’une façon inattendue, il reparaît dans sa forme première, toujours gracieux, toujours sautillant. Il faut une exécution bien nette, bien délicate, pour rendre ce morceau tel que l’auteur l’a écrit. Le thème de l’andanteSonate pour 2 pianos mi bémol majeur Op. 16Sonate pour 2 pianos en mi bémol majeur Op. 16 de Theodore Ritter, publiée chez G. Brandus et G. Dufour, Paris, 1858.Lire la suite…, présenté d’abord avec toute la simplicité voulue, se pare bientôt des plus fines broderies, mais sans quitter jamais la tonalité première. M. RitterRitter, ThéodoreToussaint Prévost [Prévost-Ritter], dit Théodore Ritter (Nantes, 5 avril 1840 – Paris, 6 avril 1886), pianiste et compositeur. Il fut l’unique élève de Berlioz, qui lui confia la réduction pour piano de L’Enfance du Christ et de Romeo et Juliette. Il excellait dans l’interprétation deLire la suite… a dû se dire : J’aurai bien d’autres occasions de moduler ; pour cette fois restons dans le ton de mi bémol, un ton brillant et doux, et tâchons de suppléer au défaut de variété par la profusion des arabesques. Est-ce vraiment un défaut que de ne pas assez moduler, que de ne pas moduler du tout même ? Dans tous les cas il était impossible de déguiser ce défaut avec plus de grâce. Je ne veux pas chagriner M. RitterRitter, ThéodoreToussaint Prévost [Prévost-Ritter], dit Théodore Ritter (Nantes, 5 avril 1840 – Paris, 6 avril 1886), pianiste et compositeur. Il fut l’unique élève de Berlioz, qui lui confia la réduction pour piano de L’Enfance du Christ et de Romeo et Juliette. Il excellait dans l’interprétation deLire la suite… en lui disant que j’ai relevé deux ou trois erreurs dans son andanteSonate pour 2 pianos mi bémol majeur Op. 16Sonate pour 2 pianos en mi bémol majeur Op. 16 de Theodore Ritter, publiée chez G. Brandus et G. Dufour, Paris, 1858.Lire la suite…, erreurs d’impression sans doute. Le finale est très-brillant et très-mouvementé ; j’aime ce rhythme syncopé, et j’aime aussi ce je ne sais quoi de vague et de tendre qu’il a mis dans le second motif en si bémol. Tous les musiciens ne trouvent pas de ces idées-là, fort heureusement pour ceux qui les trouvent. En somme, la sonate de M. Théodore RitterRitter, ThéodoreToussaint Prévost [Prévost-Ritter], dit Théodore Ritter (Nantes, 5 avril 1840 – Paris, 6 avril 1886), pianiste et compositeur. Il fut l’unique élève de Berlioz, qui lui confia la réduction pour piano de L’Enfance du Christ et de Romeo et Juliette. Il excellait dans l’interprétation deLire la suite… est une œuvre qui vaudrait à son auteur, s’il ne les avait déjà, les sympathies de tous les musiciens sérieux.