Le Journal des Débats, 31 mars 1869 (article signé E. Reyer).

ARTICLE

HECTOR BERLIOZ.

On mettra peut-être plus de temps à glorifier Hector BerliozBerlioz, Louis-HectorLouis-Hector Berlioz (La Côte Saint-André, 11 décembre 1803 – Paris, 8 mars 1869), compositeur. Il étudia au Conservatoire de Paris avec Lesueur et obtint le 1er Prix de Rome en 1830. La même année, il composa sa Symphonie fantastique. De retour de Rome, il composa Lelio ou le Retour à la vLire la suite… qu’on n’en a mis à glorifier BeethovenBeethoven, Ludwig vanLudwig van Beethoven (Bonn, 16 décembre 1770 – Vienne, 26 mars 1827), compositeur. Enfant prodige qui donna son premier concert public à Bonn à huit ans. Il alla à Vienne et prit des leçons avec Haydn de 1792 à 1794 puis avec Albrechtsberger de 1794 à 1795 et avec Salieri vers 1799. Il compLire la suite…, mais on le glorifiera pourtant. Et le beau buste du maître français, si admirablement modelé par le sculpteur Perraud, aura un jour sa place, non loin de celui du plus grand musicien que l’Allemagne ait produit, dans cette galerie de compositeurs et de poëtes lyriques qui orne la façade et les parties latérales du nouvel Opéra, dans ce panthéon où quelques individualités médiocres, à peu près inconnues de la foule, doivent être fort étonnées de se rencontrer. Mais ce n’est pas la seule réparation, ni la plus urgente, qui soit due à l’auteur des TroyensTroyens, LesLes Troyens, opéra en cinq actes sur un livret et une musique de Hector Berlioz dont les trois derniers actes furent créés sous la direction de Berlioz au Théâtre-Lyrique de Paris le 4 novembre 1863 sous le titre: Les Troyens à Carthage.Lire la suite…, de la Damnation de FaustDamnation de Faust, LaLa Damnation de Faust, légende dramatique en quatre parties, Op. 24, pour solistes, double chœur, chœur d’enfants et orchestre sur un texte de Gérard de Nerval traduit de Wolfganf von Goethe avec des ajouts d’Almire Gandonnière, mis en musique par Hector Berlioz et créé à l’Opéra-ComLire la suite…, de l’Enfance du ChristEnfance du Christ, L’L’Enfance du Christ, trilogie sacrée pour récitant (ténor), soli, chœur et orchestre sur un livret et une musique de Hector Berlioz, créée à la salle Herz à Paris le 10 décembre 1854. Les trois parties de cette œuvre ont pour titre: Le Songe d’Hérode; La Fuite en Egypte; L’ArrivéLire la suite… et de Roméo et JulietteRomeo et JulietteRoméo et Juliette, symphonie dramatique, Op. 17, pour solistes, chœur et orchestre sur un texte d’Emile Deschamps d’après William Shakespeare, composée par Hector Berlioz et créée à la Salle du Conservatoire de Paris le 24 novembre 1839.Lire la suite…. Son œuvre n’a pas été suffisamment comprise de la génération à laquelle il appartenait ; la génération suivante l’a à peine entendue : il faut la lui faire connaître, non pas par fragmens et mutilée, mais dans son ensemble et dans toute sa perfection, si c’est possible. Une pareille tâche serait-elle encore plus difficile, qu’il ne faudrait pas désespérer de pouvoir l’accomplir. Déjà, depuis que le maître n’est plus, ceux qui souriaient au récit de ses infortunes et de ses tristesses, ceux qui niaient son talent comme son génie, ont oublié leurs torts envers lui et demandent avec intérêt : De quoi est-il mort ?

On sait que BerliozBerlioz, Louis-HectorLouis-Hector Berlioz (La Côte Saint-André, 11 décembre 1803 – Paris, 8 mars 1869), compositeur. Il étudia au Conservatoire de Paris avec Lesueur et obtint le 1er Prix de Rome en 1830. La même année, il composa sa Symphonie fantastique. De retour de Rome, il composa Lelio ou le Retour à la vLire la suite… a laissé des Mémoires destinés, je crois, à produire une certaine sensation. Un exemplaire de ces Mémoires m’a été remis de la part de l’illustre mourant, tandis que je veillais à son chevet, par le fidèle serviteur qui ne l’a pas quitté un seul instant pendant sa longue et douloureuse maladie, qui lui a prodigué les soins les plus touchans, les plus pieux, les plus dévoués, qui l’a aimé, qui l’a pleuré, qui l’a enseveli. Et tout en lisant ces pages pleines d’enthousiasme et de découragement, de passion et de désespoir, ces poétiques descriptions, ces rêves de jeunesse, le récit de ces luttes et de ces triomphes, et ces satires empreintes d’une sanglante ironie, mes yeux se reportaient par momens sur ce corps décharné et inerte qui avait renfermé une âme si vaillante, un esprit si brillant et si vigoureux. Quel sombre tableau et quel douloureux rapprochement pendant cette lecture qu’accompagnait à côté de moi le râle de la mort !

Aucune biographie, mieux que ces Mémoires, ne fera connaître l’homme et l’artiste dont l’existence tourmentée et aventureuse a tout l’attrait d’un roman. Commencés à Londres le 21 mars 1848, les Mémoires d’Hector BerliozBerlioz, Louis-HectorLouis-Hector Berlioz (La Côte Saint-André, 11 décembre 1803 – Paris, 8 mars 1869), compositeur. Il étudia au Conservatoire de Paris avec Lesueur et obtint le 1er Prix de Rome en 1830. La même année, il composa sa Symphonie fantastique. De retour de Rome, il composa Lelio ou le Retour à la vLire la suite… vont seulement jusqu’au 1er janvier de l’année 1865. Mais les dernières années de sa vie s’écoulèrent tristes et silencieuses, et ne furent marquées par aucun événement musical d’une grande importance, si ce n’est le voyage qu’il fît en Russie, à la prière de la grande-duchesse Hélène. Là, au milieu des enivremens du succès, ses douleurs physiques et ses souffrances morales ne cessèrent de l’obséder. Quelques mois avant son départ, la plus cruelle de toutes les épreuves qu’il ait subies l’avait plongé dans le deuil et dans l’affliction : un soir, comme il allait se rendre à une fête musicale, toute intime du reste, préparée en son honneur par M. le marquis Arconati-ViscontiArconati-Visconti, Jean-Marguerite-Martin [Gianmartino]Jean-Marguerite-Martin [Gianmartino] Arconati-Visconti (Pau, 12 novembre 1839 – Florence, 23 février 1876), marquis. Il était le troisième fils de Giuseppe Arconati-Visconti, député puis sénateur du royaume d’Italie et de Costanza Trotti Bentivoglio. Seul des enfants à atteindre l’âge Lire la suite…, admirateur passionné des œuvres du maître, on lui apprit la mort de son fils. Depuis ce moment sa santé s’affaiblit chaque jour davantage, ses forces s’épuisèrent, son intelligence, même quand elle était surexcitée, ne répandait plus que de faibles lueurs, il restait des heures entières sans parler, il se souvenait à peine, il ne vivait plus.

A Monaco, où il était allé chercher un rayon de soleil et la vue de la mer qu’il aimait tant, il fit une chute fort grave qui l’obligea de retourner à Nice. Une chute plus grave encore le força de garder le lit plusieurs jours. Deux jeunes gens qui passaient près de lui le relevèrent inanimé et le conduisirent à son hôtel. Une congestion au cerveau l’avait terrassé pendant qu’il regardait la mer, la mer profonde et agitée comme son âme, la mer dont il admirait l’immensité, le bruit monotone et les changeans reflets. Le musicien avait brisé sa lyre, mais le poëte rêvait toujours. Au mois d’août dernier, la ville de Grenoble, qui était presque sa ville natale, l’invita à venir assister à un concours musical dont on l’avait nommé président honoraire. L’accueil qu’il reçut de ses compatriotes aurait dû le toucher profondément ; mais il était tombé dans une telle prostration, il était arrivé à un tel état d’épuisement qu’il ne put trouver en lui assez de sensibilité pour se réjouir de ces ovations tardives.

Cependant un nom, un souvenir lointain, avait le doux privilège de réveiller son cœur, d’électriser tout son être, et à Grenoble, si près de cette délicieuse vallée de l’Isère où il avait passé son enfance, que de choses devaient lui rappeler ce nom chéri, ce souvenir de ses premières années ! « Non, le temps n’y peut rien… d’autres amours n’effacent point la trace du premier…  J’avais treize ans quand je cessai de la voir…. J’en avais trente quand, revenant d’Italie par les Alpes, mes yeux se voilèrent en apercevant de loin le Saint-Eynard, et la petite maison blanche, et la vieille tour… Je l’aimais encore… » Il l’aima toujours, celle qu’il appelait la Stella montis, et comme il voulait, la revoir une dernière fois, il quitta brusquement Grenoble et prit la route de ***, un petit village près de Lyon, où elle habitait depuis que la petite maison blanche avait été abandonnée.

« Estelle, fut la rose qui a fleuri dans l’isolement :

‘Tis the last rose of summer left blooming alone Thomas Moore. .

« Henriette Henriette SmithsonSmithson, Henrietta Constance dite HarrietHenrietta Constance dite Harriet Smithson ( Ennis/Irlande, 18 mars 1800 – Paris, 3 mars 1854), actrice. Fille d’un directeur de théâtre, elle débuta au Crow Street Theater à Dublin (1815) et trois ans plus tard à Londres au Drury Lane Theater. En 1828, elle vint à Paris dans la troupe de Lire la suite…, sa première femme.  fut la harpe mêlée à tous mes concerts, à mes joies, à mes tristesses, et dont, hélas ! J’ai brisé bien des cordes ! »

Ce dernier voyage, cette dernière entrevue fut aussi sa dernière émotion, et les quelques lignes que je viens d’écrire résument, je le crois, les seuls évènemens qui pourraient servir d’appendice à l’histoire de sa vie.

Lorsque l’œuvre de BerliozBerlioz, Louis-HectorLouis-Hector Berlioz (La Côte Saint-André, 11 décembre 1803 – Paris, 8 mars 1869), compositeur. Il étudia au Conservatoire de Paris avec Lesueur et obtint le 1er Prix de Rome en 1830. La même année, il composa sa Symphonie fantastique. De retour de Rome, il composa Lelio ou le Retour à la vLire la suite… sera mieux appréciée en France, on comprendra l’importance du rôle qu’il a joué, l’influence qu’il a exercée et la mission qu’il a remplie. On ne s’en doute guère aujourd’hui.

Apôtre convaincu, il a prêché les saines doctrines et l’amour de l’art pur, sachant bien qu’il prêchait dans le désert. Cette âcre jouissance qu’éprouve l’artiste vraiment supérieur à se sentir impopulaire, il l’a connue et savourée plus qu’aucun grand artiste. Mais que n’aurait-il pas donné pour obtenir, dans son pays même, les applaudissemens d’un public dont il raillait le goût et méprisait les aspirations vulgaires ? Etrange contradiction ! L’Allemagne l’eût adopté s’il eût voulu. C’est là qu’il a ressenti toutes les joies du triomphe, c’est là qu’il a ressenti toutes les joies du triomphe, c’est là qu’ont éclaté autour de lui des cris d’enthousiasme qu’il n’avait pas besoin de se faire traduire pour les bien comprendre. Et au récit de ces ovations, on se demande ce que peut exiger encore, pour être satisfait, l’orgueil d’un homme de génie. Il n’a manqué qu’un peu de logique à ce grand musicien pour vivre heureux et célèbre sur cette terre hospitalière qui lui offrait tout ce qui aurait dû le consoler de l’indifférence et l’injustice de ses concitoyens. Maître de chapelle à Berlin, à Vienne ou à Dresde, BerliozBerlioz, Louis-HectorLouis-Hector Berlioz (La Côte Saint-André, 11 décembre 1803 – Paris, 8 mars 1869), compositeur. Il étudia au Conservatoire de Paris avec Lesueur et obtint le 1er Prix de Rome en 1830. La même année, il composa sa Symphonie fantastique. De retour de Rome, il composa Lelio ou le Retour à la vLire la suite… eût peut-être vécu vingt ans de plus, et peut-être aussi ses œuvres eussent-elles acquis en France, lui vivant, cette popularité dont elles n’auront joui qu’après sa mort. Mais il était essentiellement Parisien, et à sa nature ardente et passionnée il fallait les émotions de chaque jour, lutte inégale dans laquelle il devait infailliblement succomber, mais qui lui donnait du moins de fréquentes occasions d’exercer son humeur sarcastique et de se laisser aller à ses emportemens. Ce ne sont pas seulement les émotions musicales qui font vivre le musicien, surtout un musicien du tempérament de BerliozBerlioz, Louis-HectorLouis-Hector Berlioz (La Côte Saint-André, 11 décembre 1803 – Paris, 8 mars 1869), compositeur. Il étudia au Conservatoire de Paris avec Lesueur et obtint le 1er Prix de Rome en 1830. La même année, il composa sa Symphonie fantastique. De retour de Rome, il composa Lelio ou le Retour à la vLire la suite…. A Paris, il retrouvait, pour les combattre avec une solidité d’argumentation et une verve sans pareille, ces abus, ces sottises, ces erreurs et ces préjugés qu’il n’a certainement pas détruits, mais auxquels il a porté de rudes coups ; à Paris aussi il pouvait essayer de convertir au culte du beau ceux qui marchaient dans une voie opposée à la sienne, en leur révélant, dans des pages qui resteront comme des modèles de style et de haute critique, les sublimes inspirations des maîtres qu’il admirait et dont il était le plus fervent disciple. C’est ainsi qu’il parla de SpontiniSpontini, Gaspare Luigi PacificoGaspare Luigi Pacifico Spontini (Maiolati près Ancona/Italie, 14 novembre 1774 – Maiolati près Ancona, 24 janvier 1851), compositeur. Il étudia la musique au conservatoire des Turchini à Naples et son premier opéra bouffe, Li puntigli delle donne, fut représenté à Rome en 1796. Plusieurs de Lire la suite… et de WeberWeber, Carl Maria vonCarl Maria von Weber (Eutin, 18 novembre 1786 – Londres, 5 juin 1826), compositeur. Il étudia avec son père, puis avec Johann Peter Heuschkel, organiste à Hildburghausen où sa famille s’était établie en 1796. L’année suivante, sa famille s’installa à Salzbourg où Weber étudia avec Lire la suite…, de BeethovenBeethoven, Ludwig vanLudwig van Beethoven (Bonn, 16 décembre 1770 – Vienne, 26 mars 1827), compositeur. Enfant prodige qui donna son premier concert public à Bonn à huit ans. Il alla à Vienne et prit des leçons avec Haydn de 1792 à 1794 puis avec Albrechtsberger de 1794 à 1795 et avec Salieri vers 1799. Il compLire la suite… et de GluckGluck, Christoph WillibaldChristoph Willibald Gluck (Erasbach/Haut-Palatinat, 2 juillet 1714 – Vienne, 15 novembre 1787), compositeur. Né en Bohème, on ne sait rien de ses études scolaires ou musicales. En 1732, il alla à Prague, jouant du violon, et préférablement du violoncelle et chantant dans les chœurs des églLire la suite…. Son éloquence stimula le zèle de quelques uns, mais on peut dire qu’elle fit peu de prosélytes, car ce n’est guère que par exception qu’on entend, encore aujourd’hui, l’œuvre de ces grands maîtres.

Le public parisien continue à témoigner de la façon la plus évidente ses préférences pour les choses frivoles. Et ce n’est pas l’attitude de ce même public aux concerts du Conservatoire ou aux concerts populaires, qui me forcera d’exprimer une opinion opposée. Ce n’est pas entendant bisser avec transport l’andante d’une symphonie de HaydnHaydn, Franz JosefFranz Josef Haydn (Rohrau/Basse Autriche, 31 mars 1732 – Vienne, 31 mai 1809), compositeur. Il étudia avec Johann Mathias Franck, chef de chœur de l’église de Hainburg et fut remarqué par Reutter, maître de chapelle du Stephansdom à Vienne, qu’il le recruta en 1739 ou 1740 comme choristeLire la suite… que je croirai la foule convertie à des sentimens plus nobles et accessible enfin aux émotions que procurent seulement à quelques esprits d’élite les œuvres considérées comme les plus hautes manifestations de l’art musical.

Oui, BerliozBerlioz, Louis-HectorLouis-Hector Berlioz (La Côte Saint-André, 11 décembre 1803 – Paris, 8 mars 1869), compositeur. Il étudia au Conservatoire de Paris avec Lesueur et obtint le 1er Prix de Rome en 1830. La même année, il composa sa Symphonie fantastique. De retour de Rome, il composa Lelio ou le Retour à la vLire la suite… a manqué de logique en s’obstinant à vivre à Paris et à y mourir de tristesse et de découragement, car voici dans quelles dispositions il y revenait après une tournée triomphale en Allemagne :

« Je retrouve notre capitale préoccupée avant tout des intérêts matériels, inattentive et indifférente à ce qui passionne les poëtes et les artistes, amoureuse du scandale et de la raillerie, riant d’un rire strident et sec aux occasions qu’elle a de satisfaire cet amour étrange ; je retrouve la puanteur de ses infernales chaudières d’asphalte, tempérées par les acres parfums de ses mauvais cigares de la régie, des figures ennuyées, des visages ennuyeux, des artistes découragés, des hommes d’esprit fatigués, des imbéciles fourmillant, des théâtres exténués, affamés, mourans ou morts ; le même orgue de Barbarie vient, comme autrefois à la même heure, me jouer le même air de Barbarie ; j’entends émettre et soutenir les mêmes opinions de Barbarie, prôner les mêmes œuvres et les mêmes hommes de Barbarie.

« En somme, tout cela me paraît former un ensemble assez triste, et d’ailleurs je ne suis pas dans une disposition d’esprit qui puisse me le montrer sous les couleurs de l’arc-en-ciel. Vous souvenez-vous des mélancolies désolantes dont nous étions affectés dans notre adolescence, le lendemain des bals ou des fêtes quelconques auxquels nous avions assisté ? Un certain malaise de l’âme, une souffrance vague du cœur, un chagrin sans objet, des regrets sans cause, des aspirations ardentes vers l’inconnu, une inquiétude inexprimable de l’être tout entier, c’est ce que nous éprouvions. J’ai honte de l’avouer, mais c’est ce que j’éprouve. Je suis comme au lendemain d’une fête que m’auraient donnée les étrangers. Les grands orchestres, les grands chœurs dévoués, ardens, chaleureux, que je dirigeais chaque jour avec tant de joie me manquent ; la fatigue même de ces longues répétitions me manquent ; la fatigue même de ces longues répétitions me manque ; ces rudes émotions des grands concerts où, en dirigeant, l’on parle soi-même à la foule par les mille voix de l’orchestre et des chœurs, me manquent ; cette étude des impressions diverses que produisent sur un auditoire sans préventions les tentatives récentes de l’art moderne, me manque ; en un mot j’éprouve un tel malaise de cette immobilité après tant d’action, de ce silence après tant de clameurs harmonieuses, que je n’ai qu’une idée depuis mon retour, idée qui m’obsède et que je repousse jour et nuit, celle de m’embarquer sur un navire au long cours et de faire le tour du monde. Deuxième voyage en Allemagne, publié par le Journal des Débats (Première lettre adressée à M. Humbert-Ferrand.) » Lui qui connaissait si bien les amères déceptions et les tourmens réservés aux hardis novateurs de tous les pays et de tous les temps ; lui qui savait de quelles haines et de quels outrages furent poursuivis la plupart des grands compositeurs qui l’avaient précédé ; lui qui, plus heureux que bien d’autres, trouvait du moins à l’étranger des compensations aux sottes attaques, aux injurieux sarcasmes dont il était l’objet dans son pays, il ne sut jamais profiter des enseignemens du passé ; il ne sut en tirer ni une consolation ni un soulagement à ses douleurs. L’auteur des Troyens Troyens, LesLes Troyens, opéra en cinq actes sur un livret et une musique de Hector Berlioz dont les trois derniers actes furent créés sous la direction de Berlioz au Théâtre-Lyrique de Paris le 4 novembre 1863 sous le titre: Les Troyens à Carthage.Lire la suite…pouvait-il donc rêver pour son œuvre le succès de ces platitudes, petites et grandes, qu’il flétrissait de sa plume indignée ?

Si ceux qui ont nié les progrès accomplis par Hector BerliozBerlioz, Louis-HectorLouis-Hector Berlioz (La Côte Saint-André, 11 décembre 1803 – Paris, 8 mars 1869), compositeur. Il étudia au Conservatoire de Paris avec Lesueur et obtint le 1er Prix de Rome en 1830. La même année, il composa sa Symphonie fantastique. De retour de Rome, il composa Lelio ou le Retour à la vLire la suite… dans l’instrumentation et la variété des élémens nouveaux qu’il a introduits dans la musique symphonique ; si ceux qui lui ont reproché l’étrangeté de ses combinaisons rhythmiques et ont taxé de puérilité  les effets imitatifs que l’on retrouve dans quelques unes de ses compositions ; si ceux qui l’accusent de manquer de mélodie et d’être dépourvu de tout sentiment dramatique ; si ceux-là vivent encore quelques années, ce que je leur souhaite bien sincèrement, ils seront témoins d’une réaction qui les éclairera sur la valeur de leurs jugemens. Ce n’est pas que je sois prophète ni que je prétende imposer à qui que ce soit mes opinions personnelles ; mais n’est-il pas permis, en se souvenant des exemples que nous a fournis l’histoire, de compter sur l’avenir pour réhabiliter les grands génies inconnus, comme pour amoindrir les plus éclatantes renommées ?

Le style de BerliozBerlioz, Louis-HectorLouis-Hector Berlioz (La Côte Saint-André, 11 décembre 1803 – Paris, 8 mars 1869), compositeur. Il étudia au Conservatoire de Paris avec Lesueur et obtint le 1er Prix de Rome en 1830. La même année, il composa sa Symphonie fantastique. De retour de Rome, il composa Lelio ou le Retour à la vLire la suite…, ses innovations, ses théories ne sont ni la conséquence d’un système ni le résultat de réflexions mûries pendant de longues années. Il est entré dans la carrière armé de pied en cap et prêt au combat. Ses études classiques l’ayant familiarisé avec les héros de l’antiquité et les dieux de l’Olympe, il comprit bien vite combien étaient vrais et sublimes, héroïques et divins les accens que GluckGluck, Christoph WillibaldChristoph Willibald Gluck (Erasbach/Haut-Palatinat, 2 juillet 1714 – Vienne, 15 novembre 1787), compositeur. Né en Bohème, on ne sait rien de ses études scolaires ou musicales. En 1732, il alla à Prague, jouant du violon, et préférablement du violoncelle et chantant dans les chœurs des églLire la suite… leur avait prêtés. De même BeethovenBeethoven, Ludwig vanLudwig van Beethoven (Bonn, 16 décembre 1770 – Vienne, 26 mars 1827), compositeur. Enfant prodige qui donna son premier concert public à Bonn à huit ans. Il alla à Vienne et prit des leçons avec Haydn de 1792 à 1794 puis avec Albrechtsberger de 1794 à 1795 et avec Salieri vers 1799. Il compLire la suite… se révéla à lui du premier coup dans toute la puissance de son vaste génie. Et Gluck et BeethovenBeethoven, Ludwig vanLudwig van Beethoven (Bonn, 16 décembre 1770 – Vienne, 26 mars 1827), compositeur. Enfant prodige qui donna son premier concert public à Bonn à huit ans. Il alla à Vienne et prit des leçons avec Haydn de 1792 à 1794 puis avec Albrechtsberger de 1794 à 1795 et avec Salieri vers 1799. Il compLire la suite… en se partageant son admiration, représentèrent toujours à ses yeux les deux incarnations les plus complètes et les plus grandioses des deux branches de l’art musical : le drame lyrique et la symphonie. Mais tout en se prosternant devant ces deux colosses qui se dressaient devant lui et lui causaient une sorte d’éblouissement, il conservait le sentiment de sa force, en même temps que le souci de sa personnalité lui faisait entrevoir des horizons nouveaux. Aussi, tout en reconnaissant les sources auxquelles il s’est inspiré, est-il impossible de surprendre dans son œuvre la moindre imitation servile, le moindre plagiat ; et si quelque réminiscence involontaire s’y est glissée, que celui d’entre nous qui est sans péché lui jette la première pierre. Le sot engouement de certains amateurs trop zélés pour d’infimes productions, œuvres de jeunesse que d’illustres compositeurs ont eu le tort de laisser vivre après eux, excita si souvent l’ironique dédain d’Hector BerliozBerlioz, Louis-HectorLouis-Hector Berlioz (La Côte Saint-André, 11 décembre 1803 – Paris, 8 mars 1869), compositeur. Il étudia au Conservatoire de Paris avec Lesueur et obtint le 1er Prix de Rome en 1830. La même année, il composa sa Symphonie fantastique. De retour de Rome, il composa Lelio ou le Retour à la vLire la suite…, qu’il ne pouvait, sans être en contradiction avec lui-même, nous léguer ses premiers essais. C’est donc à simple titre de renseignement biographique qu’il faut compter au nombre de ses productions la scène de Beverley Ouverture de Waverley, pour orchestre H. 26Ouverture de Waverley, pour orchestre H. 26, de Hector Berlioz. Composée en 1827, elle fut créée au concert de l’Orchestre du Conservatoire le 26 mai 1828 sous la direction de Nathan Bloc. Berlioz la publia en 1839 mais ne lui attachait pas une grande importance ; il ne la dirigea jamais, ni eLire la suite…[WaverleyOuverture de Waverley, pour orchestre H. 26Ouverture de Waverley, pour orchestre H. 26, de Hector Berlioz. Composée en 1827, elle fut créée au concert de l’Orchestre du Conservatoire le 26 mai 1828 sous la direction de Nathan Bloc. Berlioz la publia en 1839 mais ne lui attachait pas une grande importance ; il ne la dirigea jamais, ni eLire la suite…], un opéra intitulé Estelle Estelle et NémorinEstelle et Némorin, opéra sur un livret de Hyacinthe-Christophe Gerono mis en musique par Hector Berlioz en 1823. Berlioz détruisit l’œuvre.Lire la suite…[Estelle et NémorinEstelle et NémorinEstelle et Némorin, opéra sur un livret de Hyacinthe-Christophe Gerono mis en musique par Hector Berlioz en 1823. Berlioz détruisit l’œuvre.Lire la suite…], une valse et un oratorio (le Passage de la mer RougePassage de la mer rouge, LeLe Passage de la mer rouge, H. 18, oratorio sur un texte latin de Hector Berlioz composé en 1823/24 et dont la partition est perdue.Lire la suite…). Dans cette longue période qui sépare l’ouverture des Francs-jugesOuverture « Les Francs-Juges »Ouverture pour l’opéra Les Francs-Juges sur un livret de Humbert Ferrand dont il ne reste plus que cinq fragments dont cette ouverture pour orchestre, créée à la Salle du Conservatoire de Paris le 26 mai 1828.Lire la suite… de la partition des TroyensTroyens, LesLes Troyens, opéra en cinq actes sur un livret et une musique de Hector Berlioz dont les trois derniers actes furent créés sous la direction de Berlioz au Théâtre-Lyrique de Paris le 4 novembre 1863 sous le titre: Les Troyens à Carthage.Lire la suite…, on peut évidemment constater les progrès du compositeur et suivre le développement de son génie ; mais on voit aussi que, tout en grandissant, son individualité ne subit aucune de ces métamorphoses si fréquentes dans la carrière des maîtres. Des poëtes qu’il connaissait à peine se révèlent à lui ; la blonde Ophélia l’initie aux merveilleuses créations de Shakespeare Shakespeare, WilliamWilliam Shakespeare (Stratford-upon-Avon, baptisé le 26 avril 1564 – Stratford-upon-Avon, 3 mai 1616), auteur dramatique et poète. Il est considéré comme l’un des plus grands écrivains de la littérature anglaise. Il écrivit 37 comédies et tragédies entre 1580 et 1613. Il épousa Anne HathLire la suite…; le grand mouvement romantique de 1830 l’entraîne ; le lyrisme de Victor HugoHugo, VictorVictor Hugo (Besançon, 26 février 1802 – Paris, 22 mai 1885), écrivain. Tête de file du romantisme, il publia de nombreux poèmes dont Odes (1822), Les Orientales (1829), Les Feuilles d’automne (1831) et surtout le manifeste du romantisme qu’est sa préface à son drame historique CromwellLire la suite… le pénètre ; il tressaille au souffle de lord ByronByron, George Gordon Noel, BaronGeorge Gordon Noel Byron dit Lord Byron (Londres 22 janvier 1788 – Missolonghi/Grèce, 19 avril 1824), écrivain. Il étudia d’abord à Aberdeen et de 1801 à 1805 à Harrow ; il rejoignit ensuite Trinity College puis Cambridge, où il eut sa première relation homosexuelle avec un garçon de 15 Lire la suite… et de Goethe Goethe, Johann Wolfgang vonJohann Wolfgang von Goethe (Francfort, 28 août 1749 – Weimar, 22 mars 1832), écrivain. Son œuvre est prolifique et presqu’encyclopédique puisqu’il a écrit des poèmes, des drames, des romans mais aussi des ouvrages de botanique et d’ostéologie et d’analyse du spectre des couleurs. Ses Lire la suite…; les légendes sacrées emplissent son âme de leur parfum mystique ; le drame de la mort lui arrache d’inimitables accens d’épouvante et de terreur ; il traduit en chants inspirés les sublimes beautés de l’épopée virgilienne ; il colore de son instrumentation puissante les hymnes guerriers ; il chante les apothéoses des martyrs de la liberté… Les tons de sa palette changent ; son inspiration plane dans des régions plus ou moins hautes, mais son style ne perd jamais cette suprême originalité, empreinte ineffaçable qui est comme un reflet de la solidité et de la pureté de ses convictions.

Ah ! vraiment, je me suis bien aventuré quand j’ai promis d’analyser ici en quelques colonnes l’œuvre d’un tel artiste. C’est à peine si un volume y suffirait. Mieux vaudra suivre pas à pas le mouvement qui ne peut tarder à se produire, et dont la première impression s’est manifestée le lendemain même du jour où BerliozBerlioz, Louis-HectorLouis-Hector Berlioz (La Côte Saint-André, 11 décembre 1803 – Paris, 8 mars 1869), compositeur. Il étudia au Conservatoire de Paris avec Lesueur et obtint le 1er Prix de Rome en 1830. La même année, il composa sa Symphonie fantastique. De retour de Rome, il composa Lelio ou le Retour à la vLire la suite… est mort. Ses compositions symphoniques ont été léguées par lui au Conservatoire dont la riche bibliothèque, plus riche aujourd’hui, fut confiée à ses soins ; nous en parlerons au fur et à mesure qu’elles s’inscriront sur les programmes des Concerts populaires ou de la Société des Concerts ; nos théâtres lyriques aussi doivent savoir quelle part leur est assignée dans la réhabilitation posthume de l’illustre compositeur. « Les directeurs sont tous les mêmes ; rien n’égale leur sagacité pour découvrir des platitudes, si ce n’est l’aversion instinctive que leur inspirent les œuvres prévenues de tendances à la finesse du style, à la grandeur et à l’originalité. Ils se montrent à cet égard, en Allemagne, en Italie, en Angleterre et ailleurs, plus publics que le public. Je ne cite pas la France ; on sait que nos théâtres lyriques, sans exception, sont et ont toujours été dirigés par des hommes supérieurs. Et quand l’occasion s’est présentée pour eux de choisir entre deux productions, dont l’une était vulgaire et l’autre distinguée, entre un artiste créateur et un misérable copiste, entre une ingénieuse hardiesse et une sottise prudente et plate, leur tact exquis ne les a jamais trompés. Aussi, gloire à eux ! tous les amis de l’art professent pour ces grands hommes une vénération égale à leur reconnaissance. »

Cette spirituelle boutade que j’extrais des Mémoires de BerliozBerlioz, Louis-HectorLouis-Hector Berlioz (La Côte Saint-André, 11 décembre 1803 – Paris, 8 mars 1869), compositeur. Il étudia au Conservatoire de Paris avec Lesueur et obtint le 1er Prix de Rome en 1830. La même année, il composa sa Symphonie fantastique. De retour de Rome, il composa Lelio ou le Retour à la vLire la suite… a été écrite longtemps après la représentation de Benvenuto CelliniBenvenuto CelliniBenvenuto Cellini, opéra en deux actes sur un livret de Léon Wailly et Auguste Barbier mis en musique par Hector Berlioz et créé à l’Opéra de Paris le 10 septembre 1838.Lire la suite… à l’Opéra, et longtemps avant la représentation des TroyensTroyens, LesLes Troyens, opéra en cinq actes sur un livret et une musique de Hector Berlioz dont les trois derniers actes furent créés sous la direction de Berlioz au Théâtre-Lyrique de Paris le 4 novembre 1863 sous le titre: Les Troyens à Carthage.Lire la suite… au Théâtre-Lyrique. Les directeurs actuels de ces deux théâtres s’en seraient bien doutés, quand même je n’eusse pas pris soin de les en prévenir.

E. REYER.